△ silence is better than bullshit ▬ Benedikt's links.

SON HISTOIRE EN BREF

Moi, quand j'étais jeune, je croyais que la vie allait être simple pour moi. Je croyais que j'irais normalement à l'école, que j'aurais des amis normaux, et qu'on ferait des choses normales. Je pensais dur comme fer que j'habiterais dans un coin paumé mais normal, avec une famille spéciale mais normale, et qu'un jour, je trouverais l'amour. Normale, oui, comme tout le reste. En fait, quand j'étais jeune, je ne réalisais pas à quel point je pouvais être naïf. Moi, le petit adolescent à l'acné fleurissante. Je croyais qu'un jour je pourrais changer le monde, armé de mes idéaux et de ma volonté. Mais jamais je n'aurais cru que la réalité me flanquerait à ce point une claque en pleine gueule tandis que je m'en attendais le moins.

Mes parents, ils étaient normaux. Du moins, du plus loin que je me souvienne, jamais ils n'ont évoqué la moindre trace de mutant dans la famille. Le sujet était quelque peu tabou, là-bas, en Russie. Surtout dans le petit village où nous nous trouvions. Et du plus loin que je me souvienne, ce fut ma soeur, cadette de quelques années, qui manifesta les premiers "symptômes" mutants. C'était durant notre adolescence, et je dois avouer que même si j'avais déjà côtoyé quelques mutants depuis ma naissance, apprendre que ma seule et unique soeur en était une me fit un drôle de choc. Ce n'est pas pour autant que j'ai arrêté de l'aimer, bien au contraire. J'étais son grand frère, et le rôle premier d'un grand frère, c'est bien de protéger et aimer sa petite soeur peu importe ce qui arrive. Et c'est d'ailleurs ce que je faisais, moi, du haut de mon mètre soixante à l'époque, quand elle perdait le contrôle de son pouvoir. C'est ce que je faisais, moi, du bout de mes bras plutôt maigrichon pour tenter de lui venir en aide, malgré que je ne savais pas trop ce que je pouvais faire pour elle. Car il fallait l'avouer, en tant qu'humain, même en étant son ainé de quelques années, je ne savais la comprendre. Je ne pouvais la conseiller, je ne pouvais l'aider autant qu'elle en aurait eu besoin. Mais j'étais là, oui. Pour ma petite soeur adorée, j'aurais toujours été présent. Ça, c'est certain.

En cours, j'étais loin d'être le plus brillant de la classe. Timide, je posais peu de questions, j'attendais que les autres le fasse à ma place. Je peinait à écrire sans trop de fautes, je réussissais dans peu de matières et, en bout de ligne, la seule chose qui me plaisait bien à l'école, c'était le sport. J'aurais bien aimé être doué en mathématique comme mon père et ma mère -ceux-ci étant comptable depuis des années-, mais malheureusement pour eux, je ne pouvais suivre la tradition. J'étais trop bête, fallait croire. Ou trop peu intéressé à apprendre, selon le point de vue. Depuis tout jeune, de toute façon, je savais que je n'étais pas fait pour la logique et les calculs divers. Moi, ce que j'aimais, c'était de travailler avec mes mains. La construction, la mécanique ; voilà, ce que j'aimais faire. Et c'est bien dans cette branche que je me suis dirigé d'ailleurs, tandis que ma soeur, elle, réussissait dans presque tout ce qu'elle touchait. À dire comment la vie pouvait être injuste, des fois. Mais je continuais de l'aimer, parce qu'au fond, ça n'avait pas trop d'importance. J'étais heureux de la vie que je menais. Ou du moins, je tentais de me convaincre que c'était le cas.

Puis il y eu ce jour où les poils commencèrent à pousser d'avantage, où mes muscles gonflèrent d'eux-même et que les boutons sur mon visage disparurent tranquillement. À l'intérieur, je n'avais pas réellement changé, mais c'était surprenant de voir à quel point maintenant j'attirais les filles sans le moindre effort. Ce fut la période où je me mis à sortir un peu plus, trouvant quelques petits boulots ici et là pour mes dépenses personnelles. Les bars s'enchaînèrent. Les filles, aussi. D'ailleurs, je crois que c'est pour paraître "cool" que je me suis mis à fumer. Je n'sais plus trop, en fait. Durant cette période de mon enfance, j'étais toujours à l'extérieur. Et c'était souvent au beau milieu de la nuit que j'appelais mes parents, la voix grave et défoncée, pour leur demander de venir me chercher. Perdu à quelques villes voisines. Chez un copain un peu trop chaud qui ne faisait que vomir partout. Ou à l'hôpital, ouais, quelques fois. J'avais réussi à avoir cette étrange réputation du mec cool, un peu hippie sans trop le paraître, qui relevait le moindre défi sans se soucier des conséquences. Et Dieu sait à quel point, je ne me souciais pas des conséquences. Réfléchir avant d'agir, ce n'était pas mon fort. Et si j'avais un orgueil dans ce temps là, il était déconseillé de le mettre à l'épreuve.
Cette vie de débauche et de cercle vicieux ne sembla cependant pas être rempli que de mauvaises surprises. Car ce fut à ce moment là, que je l'ai rencontré pour la première fois. Je sortais d'un bar de danseuses nues, et c'était l'amie d'une amie, qui m'avait accompagnée. Vous parlez d'une rencontre de merde, ouais. Je puais le whisky, je trébuchais sur la moindre dénivellation du sol. Et malgré tout, c'est moi, dans cette agitation de fin de soirée, qu'elle remarqua. Rosalia, ce n'était pas la plus belle des femmes. Elle ne ressemblait pas à ces mannequins de couvertures de magasines. Elle ne se maquillait pas comme une pute en sortie. Elle était simple, bien simple, et c'était ce dont j'avais besoin, au final. Un fille simple, que j'aimais et chez qui j'appréciais découvrir les moindres manies, les moindres défauts. J'sais pas, ça devait être parce qu'au final, je ne voulais pas être avec quelqu'un de trop bien. Ouais, ça devait être ça. Pourtant, Rosalia, si elle n'était pas si époustouflante à l'extérieur, s'en était tout autrement à l'intérieur. Une perle, un bijou, un diamant brut. Rosalia, elle était fleur bleue, s'émerveillait devant peu, comme une jeune enfant. Brillante et délicat bourgeon, elle savait se tourner vers les autres pour leur venir en aide. Elle savait guérir les moindres douleurs tout comme les plus profondes. Rosalia, elle avait le pouvoir de guérison et d'empathie. Elle était une mutante, et ça ne me causait aucun problème, bien au contraire.
Alors que j'avais toujours été qu'un loup solitaire, Rosalia avait réussi à me faire garder le droit chemin. Elle avait su me guider jusqu'à la lumière au bout du tunnel. Mais surtout, elle avait su me prouver qu'au fond, je n'étais pas qu'un bon à rien. Et si ses "je t'aime" n'avaient pas totalement fait fondre mon coeur, ce fut l'arrivée de Loeva qui s'en chargea à sa place. Jamais je n'aurais cru possible d'avoir un enfant. Moi, Benedikt Dmitriov. Le mec qui jurait à chaque phrase et qui était depuis toujours pourchassé par sa connerie naturelle. Père. Père d'une merveilleuse princesse, aux yeux noisettes comme ceux de sa mère. Aux cheveux aussi blonds que les miens, mais qui avait trouvé une teinte beaucoup plus chocolatée au fils des mois tandis qu'elle grandissait. À nous trois, on ne représentait peut-être pas la famille parfaite, mais du moins, c'était ce qu'on essayait. On avait nos amis un peu partout en Europe, bien qu'on ne les avait pas vu depuis quelques longs mois depuis l'arrivée de Loeva dans la famille. Oui, à ce moment, j'avoue avoir un peu délaissé le social pour mes deux princesses. Mais comme vous savez tous, toute bonne chose à une fin. Et mon histoire ne fait pas exception à la règle.

Rosalia nous avait quitté, ce mois-ci, pour une cause humanitaire en Arabie. Enfin … humanitaire, c'est vite dit. Elle était là pour sauver les soldats malades, les soldats Russes emportés là-bas pour une guerre dont je ne me rappel même plus le nom. Tout ce que je me rappel, c'est cette visite des policiers, quelques semaines après son départ, m'annonçant qu'elle avait été tuée. Un missile, une explosion, aucun survivant au camp.
Inutile de vous expliquer à quel point je fus détruit à ce moment précis. Anéanti, dévasté. La nuit, je pleurais comme aucun homme ne pouvait pleurer. Et le jour, je souriais à ma petite Loeva et ne lui laissait rien paraître. Enfin … disons plutôt que du haut de ses deux ans, elle ne pouvait pas trop comprendre la raison de mes yeux gonflés et secs. Elle ne pouvait comprendre mes moments de dépressions, et mes problèmes d'argent. Tout ça, du haut de ses deux ans, elle ne pouvait pas le comprendre. Et c'était probablement mieux ainsi. Je me retrouvais seul, avec ma petite puce, enfermé chez moi à longueur de journée. Durant cette période, je ne laissais plus personne entrer et sortir de chez moi. J'étais renfermé, et même mes plus proches amis furent délaissés comme s'ils n'avaient jamais compté pour moi. Prendre les mauvais choix, c'est mon point fort, après tout. Mais le pire, dans tout ça, ce fut lorsque Dame Nature en ajouta une couche à mon malheur en venant faire sa petite visite. Enfin … est-ce que je pouvais réellement prendre ça comme une mauvaise nouvelle, ou si au contraire c'était plutôt ce qui allait me faire sortir de mon calvaire ? Quoiqu'il en soit, à ce moment précis, j'avais 31 ans. 31 années de malheur, 31 années d'horreur. 31 années à croire que j'étais normal, ou plutôt, que j'étais humain. Pour, au final, me renvoyer la réalité en pleine face aussi durement que la vie me l'avait toujours fait.

La génétique faisait vachement bien les choses, et comme ma soeur, et comme ma femme, j'étais un mutant. Rien à voir avec un pouvoir quelconque de guérison, bien au contraire. C'était un pouvoir qui se rapprochait beaucoup plus de la transformation physique qu'autre chose … et quelle transformation, d'ailleurs. La première fois, je dois l'avouer, fut vachement douloureuse. Un peu comparable à cette douleur que l'on ressent quand on se fait frapper de toutes ses forces dans les reins. Sauf que cette fois, c'était à la grandeur totale de mon corps. Ma première transformation, ce fut un chien qui devait hanter mes pensées puisque ce fut en labrador beige que je me transforma. La suite des choses, vous devez bien vous en douter. Douleur. Crainte. Inquiétude. Éloignement. Acceptation. Essaies et erreurs. Et finalement, du plaisir. Oui, du plaisir. Parce qu'au final, je me rendais compte que j'étais différent et que je l'avais toujours été. Si dès les premiers jours la vie de mutant m'avait effrayé, après quelques semaines, je me rendais compte de l'étendu de mon pouvoir. Enfin … l'étendu, soyons clair. J'apprenais plutôt à contrôler mes métamorphoses et à me concentrer assez longtemps pour ne pas perdre le contrôle. Et l'étendue de mon pouvoir, au final, se trouvait plutôt être une limite à ne pas franchir plutôt qu'un but à atteindre.

Et me connaissant, vous vous doutez bien que cette limite, je l'ai franchie. Et ce, sans la moindre hésitation.

Depuis la mort de Rosalia, j'avais décidé de quitter la Russie. Non, carrément, j'avais quitté l'Europe, le continent en entier. Loeva accompagnait mes jours et mes nuits, et même si l'ouragan grondait en moi, je gardais toujours la tête haute et les épaules droites devant elle. Après tout, plus le temps passait, et plus elle apprenait à parler et à marcher. Plus elle s'ouvrait au monde, et plus elle voulait découvrir ce qui l'entourait. C'est probablement pour cette raison que tout les deux, on a tant bougé durant cette période. Plus que tous les voyages que j'avais pu un jour faire, dans ma vie. Jusqu'à ce qu'on tombe à New York. Elle, et moi. J'avais entendu parler de cet institut … enfin, non. C'est faux. Rosalia m'avait parlé de cet institut, elle qui était si tiraillée à l'idée de se rendre là-bas pour apprendre à bien maitriser son don. Si seulement je ne l'avais pas poussé à rester avec moi, si seulement je n'avais pas été si égoïste, peut-être qu'elle serait toujours avec moi aujourd'hui. Quoiqu'il en soit, si je suis ici aujourd'hui, c'est bien pour ne pas faire la même erreur une seconde fois. S'il adviendrait que ma petite Princesse soit une mutante elle aussi, je veux qu'elle puisse avoir accès aux meilleurs soins, aux plus expérimentés ; et non qu'elle demande conseils à un père comme moi. Si je me suis rendu à l'institut, c'est principalement pour elle, bien qu'au fond, je sais que moi, j'ai vachement besoin de contrôler au maximum ce pouvoir si je ne veux pas que ça déraille une fois de plus ...