Callahan Amber Thomas Gabriels ~ « La vie est une rose dont chaque pétale est une illusion et chaque épine une réalité »

Raconter sa vie, n'est-ce pas là la plus difficile des missions ? Comment savoir quoi dire et que taire ? Je voudrais que tellement de choses ne soient pas, j'aurai voulu changer tant de choses. Mais qui peut dire ce qu'un homme ferait s'il avait véritablement la possibilité de retourner en arrière ? Oserait-il vraiment changer ce qui a été et ce qui pourrait être ?

Mon passé est une chose immuable qui a forgé l'homme que je suis aujourd'hui. Puis-je vraiment le maudire ? Ou devrais-je l'encenser ? Je vous laisse seuls juges.

Voici mon histoire :

Je suis né le 17 décembre 1988 sous le signe du Sagittaire ascendant Capricorne de l'année du Chien d'Eau. Ce ne sont que des données, mais cela n'est-il pas la première définition d'un être ?

Ce matin-là, j'avais réveillé ma mère aux alentours des quatre heures du matin, mais je n'avais daigné pointer le bout de mon nez que sur le coup de dix heures et quart dans ce grand hôpital de la périphérie de Liège en Belgique. Premier né de ce couple qui avait attendu dix ans de mariage avant de me faire, je naissais enfant de deux patries, français de part ma mère Gwellaouen Morvan, une Bretonne, et belge de part mon père Arsène Gabriels, un wallon. A peine né, je causais déjà des problèmes à ceux qui venaient s'enquérir de mon joli minois car la neige tomba drue durant les visites et bien des voitures durent être aidées pour repartir sur les routes par la suite. Qui aurait cependant pu dire que ce serait les prémices de grandes catastrophes à venir ?

Mes premières années furent semblables à celles de millions d'autres enfants. Je grandis entouré de ma famille sans avoir d'autres soucis que ceux de mon âge avec certains de mes camarades. Je n'ai pas été le plus aimé des autres enfants, mais j'avais un tour certain avec les adultes, peut-être parce que c'est avec eux que je passais le plus clair de mon temps. Déjà à ce tendre âge, je me sentais différent, comme en décalage. Préférant bien souvent la lecture à la compagnie des autres. Certains pensèrent que c'était parce que j'étais fils unique, d'autres que j'étais un peu asocial, mais j'avais quelques bons amis même s'ils n'étaient pas nombreux. En grandissant je perdis mon grand-père maternelle à l'âge de huit ans d'un cancer généralisé et ce fut une grande période de tristesse pour notre famille.

Mais c'est lorsque j'atteins l'âge de douze ans que tout bascula...J'aurai juste espéré que tout ne soit pas de ma faute. Je ne sais plus comment cela a commencé, mais je me souviens de mon père me hurlant dessus, de la brûlure de sa main sur mon visage, de l'envie qu'il meurt... une rage, une colère d'enfant, si seulement j'avais été un enfant normal... Mais j'étais différent. Différent et je ne le savais pas.

Comme détaché de moi, j'ai entendu comme une voix caressante, quelque chose, quelqu'un, allait exaucer mon souhait. Je n'ai pas compris et c'est alors que je l'ai vu, ce feu noir et bleuté, si beau, si fascinant. Cette grâce brûlante, cette danse macabre... Le feu a tout dévasté. Au matin sur les cendres de ma vie, j'étais le seul encore débout et je me sentais vide, tellement vide. Cette nuit-là, j'ai tout perdu : mon père, ma mère et ma liberté.

Je n'avais pas voulu que cela se passe ainsi... Je ne voulais pas vraiment tuer mon père, et encore moins ôter la vie de ma mère qui avait toujours tout fait pour moi, qui avait toujours été là pour moi. J'étais détruit... Lorsque la police est venu me chercher, j'ai su que je n'échapperai pas à ma destinée. Les larmes ne voulaient pas se tarirent alors que le magistrat m'interrogeait longuement. Je n'avais personne pour me défendre, personne pour dire qu'un adulte devait être là pour moi. Ne venais-je pas de les écarter de ma vie ? Il n'y avait aucune preuve que ce soit moi, aucun accélérateur de feu, rien, mais aucune trace non plus que ce soit un accident et j'étais le seul qui en avait réchappé, étrangement indemne. Il y eut une longue attente, des barreaux et la solitude. Mes grands-parents ne vinrent même pas s'enquérir de ma santé préférant croire les on-dits, mais avaient-ils vraiment torts ? N'étais-je pas responsable ? Je me sentais abandonné... Plus encore le jour du procès où le juge décida que j'étais coupable sous les yeux de mes proches et de ce jury aux yeux accusateurs. Personne ne savait que j'étais différent, que j'avais ce quelque chose en moi, mais chaque âme dans ce tribunal me criait que je n'étais pas comme eux. Que j'étais un criminel, un meurtrier. Ce fut la dernière fois que je les vis. Plus jamais je n'entendis parler d'eux. Aujourd'hui encore je sens leurs regards peser sur ma nuque alors que j'étais entraîné par les officiers de la justice. Par égard pour mon jeune âge, je fus condamné à quatre ans d' IPPJ dans un centre fermé.

Une cellule dans un centre fermé, une pièce minuscule partagée avec un autre jeune pour commencer. La promiscuité, et la culpabilité... Au début, personne de ma famille ne vint me voir. Puis, progressivement, j'eus à nouveau des contacts avec mon oncle, ma tante et ma cousine de trois ans plus âgée que moi. Au bout de six mois, j'eus droit à une cellule à moi... Un bonheur, ou presque. Une heure de préau par jour... une seule heure d'air frais...  Je devenais fou. Aurai-je honte de l'avouer ? Cet endroit fut le cadre de mes premiers émois. Des filles bien sûr, même si officiellement rien ne pouvait arriver entre nous dans l'enceinte de l'établissement... et même un Lui. Notre relation fut cachée. Comment auraient réagi nos pairs ? Si j'eus la chance que personne ne le découvrit pour moi, Xavier ne l'eut pas. Un soir dans les douches communes, il fut brisé. Plus jamais après il ne fut pareil, fuyant chaque regard, rasant les murs. J'aurai tant voulu pouvoir faire quelque chose, mais j'étais faible à l'époque, bien trop faible et longtemps je ressentis la honte de n'avoir pas levé le petit doigt.

Trois ans et demi pratiquement seul dans une cellule... Bien sûr certains jours j'avais le droit de suivre des cours, ou des ateliers, j'avais des rendez-vous aussi avec l'une ou l'autre assistance sociale. Il fallait se réinsérer dans la société qu'ils disaient... Ce fut dur, mais je me fis tout de même des amis, parfois plus paumés que moi.
Je mis ces années à profit pour tenter d'apprivoiser cette part de moi qui avait à jamais changé ma vie. Les premiers temps, je fus considéré comme un pyromane. Combien de fois n'avais-je pas mis le feu à mon lit ou mon armoire ? Je fus surveillé, mis au cachot... mais je finis par y arriver. Doucement... progressivement. Comme on apprend à marcher.

Et à seize ans, ce fut la liberté tant attendue, enfin. Je fus mis sous la tutelle de mon oncle et de ma tante à ma sortie du centre de détention et je partis vivre avec eux. Ils n'étaient pas bien riches. À vrai dire, ils étaient criblés de dettes, mais ma présence leur apportait un peu de soulagement. Ils recevaient de l'argent pour subvenir à mes besoins. Au début tout se passait bien, j'étais heureux de reprendre une vie normale bien qu'il y avait toujours un suivi pour moi. Mais au bout de quelques mois, je découvris que la situation de ma famille d'accueil n'était pas aussi idyllique que je le pensais. Ma tante et ma cousine étaient battues par le frère de ma mère : mon oncle Ckaëlig Morvan.

Je vis rouge, mais l'IPPJ m'avais appris deux choses : la patience, et la maîtrise de soi. J'attendis mon heure. Le 19 août 2005, c'était un jour de pluie, je m'en souviens encore comme si c'était hier, il y avait un avis de tempête, mais mon oncle devait aller travailler. Il était mécanicien pour camion et ne pouvait se permettre de louper un seul jour de travail étant donné sa situation financière précaire. Je le suivis au mépris de toute prudence sur un scooter, passant par certains chemins qu'il ne pouvait prendre afin d'arriver avant lui à un certain point. Et lorsque nous fûmes suffisamment loin, suffisamment isolés, je lançais deux loups de feu et un jaguar de feu. Ils s'arrangèrent pour l'effrayer. Sa voiture fit une embarquée au bord du ravin. La route humide fit le reste et mon oncle disparut corps et biens. Un regrettable accident. Est-ce que j'ai voulu le tuer ? Oui, certainement, enfin je voulais qu'il paye, je voulais l'effrayer, et après, je ne sais pas, tout s'est enchaîné. En y réfléchissant par après, je me dis que vu l'endroit que j'avais choisi, j'avais inconsciemment tout prévu. Est-ce que je me sens coupable d'avoir ôté la vie à un autre être humain ? Oui et non. Je l'ai fait dans le but de protéger des gens qui souffraient, des gens de ma famille. Je ne voulais pas que ça recommence et je sais mieux que personne que la justice des hommes n'est pas la plus efficace. J'étais jeune, impulsif... Sans doute aurais-je pu tenter d'agir autrement. Aujourd'hui, j'aurai sans doute tenté de trouver une autre solution... Le menacer verbalement, le mettre en garde, lui montrer que j'avais le moyen de faire qu'il ne recommence plus. Mais je ne l'ai pas fait et je devrais vivre avec ça toute ma vie, même si ce n'est pas moi qui l'ait poussé dans le vide.

Ce fut dur au début pour ma tante principalement qui contre toute attente aimait son mari malgré ce qu'il faisait à sa fille et à elle. Quant à ma cousine, elle avait fini par haïr cet homme et elle fut profondément soulagée de sa disparition bien qu'une tristesse fut quant même perceptible en elle des mois durant. Elles apprirent à avancer devenant de plus en plus proches de moi. Bien trop proches. Esmée, ma tante, fit rejaillir sur moi tout son manque d'affection, ses besoins grandissants. Je crois aujourd'hui qu'elle était malade. Elle fit de moi son amant, me forçant à l'aimer et à l’honorer jour après jour. Elle faisait rejaillir toute sa passion sur moi, me dominant tout entier, me forçant. Je me sentais à la fois dégoûté et flatté et cela me répugnait encore plus. Je me sentais pris au piège avec l'impression de ne rien pouvoir contrôler. Une nuit, ma cousine surprit l'une de nos éteintes et se mit à ressentir dans le plus grand secret un désir malsain pour ma personne. Elle me séduisit et je crus cette fois avoir prise sur ma vie, je n'avais pas compris à quel point j'étais manipulé. Ma cousine devint mon échappatoire, mon plaisir coupable. Ce que ni elle, ni moi, n'avions prévu, c'est qu'elle tomberait amoureuse de moi. Pour me garder, elle me fit un enfant dans le dos. Sa mère devint hystérique et tenta de la faire avorter. Ma cousine se défendit et lui planta un couteau de cuisine dans la gorge. Nous prétextâmes un cambriolage qui avait mal tourné durant notre absence. Alibi l'un de l'autre, l'un pour l'autre.

Cet acte... un acte horrible. Je ne sais pas comment cela a pu dégénérer à ce point et encore aujourd'hui je me repasse parfois le film de cette scène dans ma tête sans comprendre comment cela a pu se produire. Comment elles en sont venues aux mains, comment le couteau a bien pu atterrir dans les mains de ma cousine... et tout ce sang. Ce jour-là et tant de jours ensuite j'ai dû soutenir ma cousine effondrée. Moi-même je ne valais pas mieux qu'elle même si je tentais de faire le fort. Tant de souffrances, tant de tristesses... Je commençais à douter de vouloir un jour encore être proche de quelqu'un et de construire une famille. Pourtant je restai, malgré tout. Elle avait besoin de moi... et moi j'étais perdu.

Je terminai mes secondaires en Belgique et j'assistai à la naissance de ma fille Maïwenn avant de partir pour les Etats-Unis suivre des études de vétérinaire dans la meilleure université spécialisée au monde, celle de Californie, à Davis. J'avais dix-sept ans.
Faire comprendre à ma cousine que sa fille, notre fille, ne m'attacherait pas à elle, ne fut pas une mince à faire, mais je réussis et je m'installai à demeure dans un pays où je baragouinais à peine la langue. Du moins au début. Je voulais enfin vivre pour moi, je voulais enfin pouvoir être le maître de mon Destin et quelque part aussi, je crois que je voulais faire table rase du passé et tout recommencer.

Je découvris sur les terres du Nouveau Monde une passion qui allait à jamais changer ma vie. Une fascination pour ces vents violents et tournants, ces monstres gigantesques qui avaient le pouvoir de tout ravager. Des étudiants me firent découvrir ce monde qui, je crois, me transportera pour toujours. Je devins Chasseur de Tornades durant mes temps libres, sillonnant l'Amérique avec une préférence pour l'Oklahoma. Nous étions considérés comme des fous, sur les routes dès que c'était la saison, courant après ces monstres destructeurs, avides de sensations, de plaisir, juste pour en avoir plein les yeux... Au début nous n'avions que du matériel basique. Mon dieu c'était pure folie... et pourtant.

Nous eûmes la chance qu'un petit producteur de film viennent à notre rencontre pour des prises d'images et son financement, ainsi que deux scientifiques venant nous aider et apporter leurs lumières et leur matériel. Notre passion fit un bon en avant... Par la suite, je décidais souvent de sillonner les routes seul, toujours en contact avec les autres amateurs sur la CB. Cette liberté... c'était ce dont je rêvais.

Ma fille venait me voir une ou deux fois par an, durant les vacances, sa mère aussi au début, mais jamais plus je ne retournai dans ses bras et elle finit par abandonner, ou du moins je le crois. Ce passé m'avait forgé plus sûrement que n'aurait pu le faire bien des manuels et à mon tour j'étais devenu celui qui se jouait des autres, mimant parfois des sentiments que je n'avais pas. Je ne parvenais pas à aimer, à trouver ce sentiment que tant de films et de livres encensaient. Parfois je me demande si je serai un jour capable moi aussi de le connaître. J'ai par contre une affection profonde pour ma fille et je crois qu'elle est la meilleure chose qui me soit arrivé dans ce monde.

Durant mes études, je ne fis bien sûr pas que me complaire dans les livres et les stages à l'intérieur du pays. A mes vingt-et-un ans, je m'engageai en temps que vétérinaire sans frontière et je parcourus l'Afrique durant un an et demi tout en suivant mes cours par correspondance.  L'Afrique, un pays où j'ai tellement appris. Les gens là-bas sont vraiment différents. Plus ouverts, plus généreux, peut-être tout simplement plus vivants. Au contact des tribus locales je crois que je me suis vraiment épanoui. J'aurai vraiment voulu rester plus de temps, mais c'était impossible. Une chose est sûre, j'y retournerai car cet endroit constitue un tournant important de ma vie. J'ai aimé leurs croyances, j'ai aimé la simplicité de leur vie... Comme eux j'ai maudis ceux qui avaient tout, ceux qui gardaient les richesses du pays pour eux et qui ne donnaient rien. J'ai vu des enfants malades, des hommes et des femmes en souffrance, combien en ai-je aussi soigné faute de véritable docteur pour humain ?

C'est là bas que j' ai appris à piloter des hélicoptères par nécessité. Les distances étaient tellement grandes, les pilotes trop peu nombreux et il y avait tant d'endroits inaccessibles par des voies plus traditionnelles.  Lorsque je retournai aux États-Unis, je repris des cours pour régulariser ma situation et je réussis à y homologuer mon permis quelques temps plus tard. Mes études me prirent dix ans. Dix ans de passion et d'histoires éphémères. Je ne parvenais pas à établir une relation de couple. Dès que l'autre s'attachait trop à moi, je finissais par le quitter. Trop d'indépendance, peur de m'attacher moi aussi peut-être. Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai jamais connu de sentiment d'amour et je me dis que c'était pour cela que je préférais partir avant de leur faire trop de mal. Malheureusement, cela ne marchait pas toujours...

Je m'installai ensuite à New York dans le Queens afin d'exercer notamment en ouvrant un cabinet à Mahattan. Je partageais mon temps entre cette profession et l'exercice d'une autre peut-être un peu plus triviale : celle de pilote d'hélicoptère occasionnel pour véhiculer certains riches hommes d'affaires ou pour aller en urgence sur certains cas.

Lorsqu'en août 2014, dans ma propre ville, eut lieu la toute première manifestation anti-mutante, je sentis en moi mon sang se glacer. Je ne voulais pas devenir une bête traquée ou pointée du doigt, alors je fis ce que beaucoup d'entre nous firent à ce moment-là, je fermai les yeux. Je n'en suis pas fier, j'aurai voulu me battre, montrer qu'on pouvait parfaitement fouler la même terre et ne pas être un danger, que nous n'étions pas des monstres... Mais avais-je le droit au vue de mon passé ? J'étais différent aujourd'hui de naguère, mais cela n’effacerait jamais l'homme que j'avais été. Quant aux attaques en 2015 ? Je crois que j'aimerai pouvoir aider... mais quel en serait le prix à payer ?

Aujourd'hui cela fait cinq ans que j'exerce et cette vie que je me suis tracée manque parfois un peu de sel. Heureusement que l'adrénaline des vacances reste toujours présente à l'horizon. Peut-être trouverais-je un jour ce qu'il me manque en ce monde ? Cela pourrait-il être une cause pour laquelle me battre ?