(aerin) never tell me the odds

« Et cette petite là-bas qui dessine? » Un homme vêtu d'une veste de motard désigne la petite fille assise à une table, un bonnet vissé sur la tête malgré le fait qu'elle soit à l'intérieur. « Aerin? Oh, c'est un ange, elle fait rarement de bruit, mais elle sourit tout le temps. Elle est tellement exceptionnelle avec les autres, les prend dans ses bras lorsqu'ils pleurent et sait comment rendre le sourire aux petits comme aux grands. Malheureusement sa... particularité fait toujours que les couples qui veulent l'adopter finissent par passer leur chemin. » Le visage de la bonne soeur perd un peu de sa bonne humeur, devient plus terne, plus triste. Aerin mériterait tellement une famille aimante, comme tous les autres certes, mais elle pouvait apporter le bonheur dans un foyer. « Ça peut pas être si grave, si? Qu'est-ce qu'elle a? » La religieuse grimace puis appelle Aerin pour qu'elle s'approche, avant de lui demander d'ôter son bonnet. La petite fille s'exécute immédiatement, découvrant une chevelure rose comme de la barba-papa. L'homme ouvre de grands yeux, il n'est pas effrayé, juste émerveillé. Elle est si jolie, un véritable rayon de soleil. Il s'accroupit près d'elle. « Ils sont... naturels? » demande-t-il à la dame sans pour autant quitter la fillette des yeux. « Oui... enfin, elle est née comme cela, c'est pour ça que ses parents l'ont laissée ici. Ils changent de couleurs, de temps à autre. Pour éviter qu'elle ne soit rejetée par les autres, on a décidé de lui faire porter ce bonnet. » « C'est tellement dément! Aerin, c'est ça? Moi c'est Ashton. On t'a déjà dit que tu avais de très beaux cheveux? » La petite fait un peu la moue. « Pas vraiment, les gens ont peur alors je dois les cacher. Alors que moi, je les aime bien mes cheveux! » « Tu as tous les droits de les aimer, ils sont magnifiques! Dis, ça te dirait de venir avec moi? Je ne te demanderai plus jamais de les cacher. Et je serai un bon papa, du moins j'essaierai, si tu veux bien de moi. » « Mais... il y a plein d'autres enfants ici, qui sont normaux et gentils. » La tristesse passe sur le visage d'Ash, cette gamine est persuadée d'être un boulet, et tellement habituée au rejet, c'est horrible, et ça lui fait mal au coeur. « Non, moi c'est toi que je veux. » Il lui fait un clin d'oeil. Soudainement, Aerin sourit jusqu’aux oreilles, puis lève le regard vers la soeur, comme si elle n’arrivait pas à croire que tout ça était vrai, et cherchait sa confirmation. Elle se contente de hocher la tête et de sourire à son tour, et Ashton aurait juré que le regard de la religieuse s’était un peu humidifié.
Une fois les papiers signés, Aerin devient officiellement une Applegate. Le motard la place sur le rehausseur du côté passager de son vieux pick-up, prévu pour l’enfant qu’il ramènerait à la maison, et l’attache. Il prend ensuite le volant, et ils n’ont même pas le temps de sortir du parking que la première question s’élève dans l’habitacle. « Tu habites où? » « Rectification: on habite où? » la corrige-t-il avec un léger sourire aux lèvres. La petite rougit et rit. « On habite où, alors? » « Pas très loin d’ici. » « Et c’est quoi, ton travail? » « Je vais te montrer. » Ashton aime bien garder une part de mystère, c’est pour lui faire la surprise, et voir quelle serait sa réaction en voyant les engins. Du coin de l’oeil, il aperçoit Aerin se dresser sur son siège et regarder par la fenêtre, comme si elle essayait d’absorber le plus de choses possible de ce qu’elle voyait. Après quelques minutes de trajet, il finit par garer son véhicule devant un garage. Sur la façade, une énorme enseigne en néon, éteinte à cette heure de la journée, attire l’oeil. « Harley Davidson… » lit Aerin. « Qu’est-ce que c’est? » demande-t-elle en levant le regard vers lui. « Tu sais lire toi? A cinq ans à peine? » « Oui, soeur Ginette m’a appris. » répond-elle en bombant le torse. Le motard hausse les sourcils, visiblement impressionné. « Pas mal! Harley Davidson, c’est la marque des meilleures motos du monde. Tu veux entrer à l’intérieur? » La fillette hoche avidement la tête, trépignant presque d’impatience. Ashton ouvre la porte du garage, et l’expression sur le visage d’Aerin lui fait comprendre qu’il a fait le bon choix. Elle semble émerveillée, et se balade entre les motos posées ça et là pour réparation, sans oser les toucher, comme si elle avait affaire à de précieux trésors. Le motard est rassuré, il ne sait pas s’il aurait supporté que l’enfant ne partage pas sa passion. « Celle la a une jolie couleur! » s’écrie tout à coup la petite fille. Elle désigne une moto dont le réservoir est couvert d’une peinture métallique bleue-verte. Soudainement, un mouvement attire le regard de l’homme. Les cheveux d’Aerin changent de couleur, passant du rose au bleu-vert, exactement comme la moto, en partant des racines jusqu’aux pointes. Ashton cligne des yeux un peu bêtement devant le spectacle. « J’ai dit quelque chose qu’il fallait pas? » « Non, c’est juste que… tes cheveux… C’est un truc de fou… » « Oh, ils ont changé de couleur? C’est cool! » Elle sourit et se regarde dans le rétroviseur gauche de l'engin. Ashton la regarde, et se dit qu’il a sans doute fait le meilleur choix de sa vie ce jour-là.

Nous sommes quelques années plus tard. Aerin a douze ans, et scrute le bâtiment qui abrite son collège avec appréhension. Aujourd’hui, c’est sa rentrée en sixième, il va y avoir beaucoup de monde qu’elle ne connaît pas, et elle se demande si elle ne ferait pas mieux de remettre son bonnet. Elle secoue la tête. Non, Papa a dit qu’il fallait qu’elle soit fière de ses cheveux, qu’elle n’avait plus besoin de les cacher. Elle prend une grande inspiration, ajuste la lanière de son sac sur son épaule et entre à l’intérieur. Bien sûr, les regards se posent sur sa chevelure, vert clair à l’époque. Elle baisse la tête et fixe le plus possible le sol. Même les professeurs ont l’air désapprobateur lorsqu’ils la voient. Elle va passer la journée ainsi, à éviter de regarder les autres, ne parvenant pas à vaincre sa timidité pour se trouver des amis. Le soir, alors qu’elle ne regarde plus où elle met les pieds, parce que la délivrance se trouve au bout du couloir, elle s’étale par terre, n’ayant pas remarqué que quelqu’un avait mis son pied en travers du passage. Un groupe de garçons non loin de là ricane. Le pouls d’Aerin s’accélère, tandis qu’elle se retourne sans pour autant se lever. Ils se penchent sur elle, elle les trouve menaçants. Il n’y a personne d’autre dans le couloir. « Ben alors, on tient plus debout? Ou peut-être que ça fait partie de ton numéro de clown? » « C’est quoi cette couleur, vert vomi? Tes parents te laissent te teindre les cheveux? A ton âge? Ils feraient mieux de ne pas te laisser faire, surtout si c’est pour choisir une couleur pareille. » Aerin est terrifiée, elle n’a jamais fait face à tellement de méchanceté et d'agressivité. Son pouls tambourine dans sa petite poitrine, elle n’ose pas se relever, de peur qu’ils ne la fassent tomber de nouveau. Soudainement, la lumière augmente autour d’elle, et elle réalise que ça vient d'elle en voyant les mèches tombées sur son visage s'illuminer. Les garçons blêmissent, tandis que la lueur ne cesse de croître, jusqu’à ce qu’ils finissent par s’en aller. Aerin se retrouve seule, par terre au milieu du couloir, calmant sa respiration et les battements de son coeur. La lumière retourne à la normale, et Aerin se pose beaucoup de questions sur le chemin du retour. En arrivant au garage, elle va directement voir son père dans le garage, et lui raconte tout. « Ces garçons sont stupides, tu ne devrais pas te laisser impressionner, il ne savent pas ce qu’est la beauté. Tu me dis que tes cheveux ont fait de la lumière? C’est pas si étonnant, quand on sait ce qu’ils peuvent déjà faire. Ca pourrait même être pratique dans certaines situation. » Il affiche un sourire, mais il voit bien qu’Aerin n’est pas tranquille. « Ecoute, si ça va vraiment pas mieux dans un mois, on fera l’école à la maison. D’acord? Maintenant, est-ce que tu pourrais me passer ma clé de douze qui est sur l’établi. » La jeune fille hoche silencieusement la tête, puis lui apporte ce dont il a besoin. « Je peux t’aider? J’aimerais me changer les idées. » « Bien sûr, mais change toi, avant. » Depuis un an, Aerin a le droit d’assister son père, et elle adore ça. Ils s’amusent tout le temps, chantent des classiques du rock à tue tête, font des blagues nulles qui ne font rire qu’eux, bref, c’est la définition du paradis pour Aerin.

Aerin a désormais seize ans, et rentre du lycée. Puisque c’est le mois de décembre, la nuit est déjà tombée, et la bruine donne aux rues une atmosphère légèrement inquiétante. Elle se réfugie dans un petit magasin, ce qui tombe bien, puisque son père lui a demandé de faire quelques courses. Elle prend un panier et déambule au travers des rayons pour trouver ce qu’il lui faut. La supérette est étrangement déserte, il n’y a qu’elle et le caissier. Enfin, jusqu’à ce qu’un homme entre. Il a une capuche sur la tête et un bout de tissu qui cache son visage. Aerin tente de l’ignorer jusqu’à ce qu’elle l’entende crier après le caissier. « Donnez-moi tout ce qu’il y a dans la caisse! » Elle accoure les rejoindre, et découvre avec horreur qu’il pointe son revolver sur l’employer. « Arrêtez! » Ce mot est sorti de sa bouche malgré elle, elle lâche son panier et plaque ses mains contre ses lèvres. L’assaillant pointe son arme sur elle, alors elle sent son pouls s’arrêter. Ses cheveux commencent à s’illuminer, mais cette fois c’est plus puissant encore. Mus par sa panique à l’idée de terminer sa vie ici, leur lumière prend de l’intensité comme jamais auparavant. Heureusement, Aerin a fermé les yeux, et le caissier aussi, mais ce n’est pas le cas du braqueur. Elle entend l’homme hurler, mais ce n’est pas de la peur, non, c’est plus de la colère, et de la douleur aussi.
Ses cheveux finissent par s’éteindre au bout de quelques secondes, et la première chose qu’elle voit, c’est l’homme, avec les mains sur les yeux. Il les frotte, puis cligne des yeux, en regardant autour de lui. Il semble déboussolé. « Qu’est-ce que vous m’avez fait? » hurle-t-il. « Je vois plus rien, bordel! Je vois plus rien, et c’est de votre faute. » « Je suis tellement désolée, j’ai un peur et… » La voix d’Aerin est tremblante et ses yeux humides. « Ca n’a jamais fait ça, avant, mais peut-être que ça reviendra je… je vais appeler l’ambulance. » De ses mains secouées par le choc, elle compose tant bien que mal le numéro, malgré les complaintes de l’homme. Une heure plus tard, un médecin l’osculte aux urgences l’hôpital. Aerin est assise non loin de là, en train de se ronger les ongles. « A première vue, on dirait que sa rétine est complètement brûlée. C’est incroyable, c’est comme s’il avait regardé le soleil avec une loupe au fort pouvoir grossissant. Et il me dit que c’est de votre tête que venait la lumière. » « C’est… sans doute le choc. » dit-elle en riant nerveusement. « Est-ce qu’il pourra retrouver la vue un jour? » « J’en doute, malheureusement. Il pourra la retrouver partiellement, mais il ne verra jamais plus comme avant. » « Oh non. » Elle se prend la tête entre les mains, qu’a-t-elle fait? Elle note le nom du malheureux sur un bout de papier, puis quitte l’hôpital sans demander son reste. Depuis, elle prend régulièrement des nouvelles de cet homme, il a partiellement recouvré la vue, mais il reste très handicapé, par sa faute.
Lorsqu’elle est arrivée chez elle, elle était encore sous le choc. Son père l’a trouvée dans la cuisine, assise sur une chaise en train de prier. « Ae, ça va? » Elle secoue négativement la tête, puis lui explique ce qu’il s’est passé. Il s’assit près d’elle et lui prend la main entre les siennes. « Tu n’as fait que te défendre, ce gars-là n’aurait jamais du braquer son flingue sur toi, ni sur quoi que ce soit d’autre que des malfrats, et je pense qu’il a saisi la leçon, maintenant. Grâce à toi, il ne pourra plus faire de mal. » « Mais c’était un jeune homme perdu, c’est tout, il ne méritait pas ça, je suis un monstre. » Elle se met à pleurer à chaudes larmes, secouée par les sanglots. Ashton la prend doucement dans ses bras et lui frotte le dos. « Mais non, c’est lui, le monstre. Il ne mérite même pas d’avoir croisé ton chemin. Allez, je te fais un chocolat chaud, si tu veux. » La jeune fille finit par se calmer, elle se redresse et essuie ses joues. « Va pour le chocolat chaud, alors. »
Quelques jours plus tard, deux hommes entrent dans le garage. Ashton s'approche d'eux en s'essuyant les mains dans un chiffon. « Nous cherchons une petite du nom d'Aerin. »  Le regard du motard s'assombrit. « Nous avons déjà tout dit à vos collègues, vous voudriez pas la laisser un peu tranquille? Elle est encore sous le choc de ce qu'il s'est passé. » L'un des deux hommes lève une main en signe d'apaisement. « Nous ne sommes pas de la police. Nous sommes ici pour vous aider. C'est le directeur d'une école très spéciale qui nous envoie, et nous savons qu'Aerin est unique en son genre. C'est une mutante, et nous pouvons lui permettre de mieux se contrôler, pour que ce genre d'incident ne se produise plus. Nous pouvons lui procurer une éducation exemplaire et lui permettre de vivre normalement, sans que son don ne l'handicape. » Ashton ouvre la bouche, puis la referme, il ne s'attendait pas à ça. « Je... Je suppose qu'il faudrait en parler avec elle. Je vais la chercher. » Et une heure plus tard, Aerin fait ses bagages et part pour l'institut Xavier.

En retard. Elle est en retard pour son premier cours dans ce grand manoir. Elle n'a même pas eu le temps de mettre ses livres dans son sac et court en les serrant contre sa poitrine. Au détour d'un coin, elle percute quelque chose, ou plutôt, quelqu'un. « Désolé je ne t'avais pas... » Son regard se pose sur la cane et les lunettes de soleil, mais il est trop tard pour annuler la fin de sa phrase, bien qu'elle aurait vraiment aimé que ce soit possible en ce moment précis. « ... vu. » « Moi, si. » Mais il n'aura surement pas vu Aerin pâlir à se confondre avec le blanc des murs. Elle ne peut pas s'empêcher de voir le jeune homme du magasin, là devant elle. Elle se penche et ramasse frénétiquement ses livres étalés par terre. « Je suis désolée je ne peux pas... je ne peux pas rester, je suis en retard. » Elle se sent terriblement mal, parce qu'elle aurait pu être gentille et attentionnée envers ce garçon qui en aurait surement besoin. Mais savoir qu'elle a déjà été la cause d'un tel handicap la bloque complètement. Elle secoue la tête, non, pour tout le mal qu'elle a pu causer, elle ne peut pas se permettre de jouer les égoïstes. Elle irait lui parler, plus tard.

Aerin a dix huit ans, et son cursus à l'institut est presque terminé. Une lettre à la main elle court dans les couloirs des dortoirs jusqu'à la chambre de son ami. Les mutants se retournent sur son passage, surtout à cause de ses cheveux qui clignotent intensément. Elle arrive devant la porte, enfile un bonnet plus une capuche malgré la chaleur du début de l'été, et enfin elle débarque en trombe à l'intérieur. « GIANNI! GIANNI J'AI ETE ACCEPTEE A LA MIT! » Elle est extatique, c'est un rêve devenu réalité. En deux ans, elle a trouvé une vocation dans l'informatique, bien qu'elle s'y connaisse depuis plus longtemps encore, et il s'est avéré qu'elle est très douée. Cela, avec l'aide des recommandations du professeur Xavier, n'a pas échappé à l'attention du Massachusetts Institute of Technology. Elle trépigne au milieu de la chambre, n'arrivant pas trop à se contenir d'exprimer une si grande joie, si bien que la lumière commencerait presque à percer à travers les deux couches de tissus. « Je serai tranquille pendant quatre ans, comme ça. » Elle voit bien qu'il ne le pense pas vraiment. « Pfff, on sait tous que je vais te manquer. » Elle le serre dans ses bras sans vraiment lui demander son avis, puis recommence à sautiller. « Ahhhh c'est trop bien je suis trop contente! » Elle passe la soirée à lui parler d'intelligence artificielle et des cours qu'elle idéalise peut-être un peu trop. Elle a des rêves pleins la tête, Aerin, et le monde commence tout juste à s'ouvrir à elle.

Aujourd'hui, Aerin est diplômée de la MIT, elle s'est lancée depuis peu dans l'auto-entreprise, elle se fait informaticienne pour les entreprises ou les particuliers, ainsi que pour l'institut. Elle supervise aussi l'intelligence artificielle S.I.R. de la salle des dangers, même si celle-ci est quasi autonome. Elle habite à Brooklyn, pas loin du garage de son père où elle adore traîner à ses heures perdues.