fin du XVIIIème siècle
Tout se passa si vite. Pourtant le jeune d'Albaret eut l'impression que ça avait duré des années. Pierre baissa doucement le regard. Une lame dépassait de sa poitrine et le tissu tout autour se teignait de rouge. Il sentit la froideur de l'épée reculer d'un coup sec, remuant ses entrailles. Il tomba à genou, les mains tremblantes sur sa blessure comme pour essayer de récupérer son propre sang. Autour de lui le bruit, le combat, la guerre, pourtant rien ne parvenait à ses oreilles, seulement un sifflement soulignant sa solitude. Il tenta de parler, d'appeler à l'aide, mais il se noyait dans son propre liquide vital, triste ironie. Il se laissa tomber en arrière, pour au moins pouvoir voir le ciel dans ses derniers instants. Le ciel était bleu. Les nuages blancs. Né dans une famille de nobles, il avait eu une belle vie. Il avait même eu la chance de s'entretenir avec le roi, une fois. Son père l'avait forcé à partir en guerre, mais il n'avait pas rechigné. Quel honneur que de servir le roi. Maintenant il le regrettait, en agonisant ainsi sur le sol poussiéreux. Puis ce fut le noir complet.
L'odeur. La puanteur des cadavres fut la première chose qu'il sentit. Il crut d'abord que cette senteur sulfureuse lui indiquait qu'il était allé en enfer. Il ouvrit les yeux, et vit le firmament crépusculaire s'étendre au dessus de lui. Non, il n'y avait pas de ciel d'une telle beauté en Enfer, il en était certain. Il se redressa, sans la moindre douleur. Première surprise. Il regarda autour de lui. Il était au même endroit qu'à sa mort. Il passa une main sur son torse, sur le sang séché en son centre. Il avait donc bien été tué, mais il ne comprenait pas pourquoi il était toujours là, et surtout pourquoi il n'avait plus mal. Il enleva sa veste et ouvrit sa chemise frénétiquement. Une cicatrice rose trônait au milieu de sa poitrine, mais c'était impossible qu'il ait survécu à une telle blessure et surtout qu'il ait cicatrisé en si peu de temps. Il se leva et se mit à courir comme un dératé pour rejoindre le campement militaire. Il poussa tout le monde et se rua dans la tente du prêtre. « Mon père, je crois que... je crois que je suis revenu d'entre les morts. » Il lui expliqua alors tout, du début à la fin, et il vit, dans le visage de la figure religieuse, de l'effroi. Il le poussa hors de la tente en hurlant qu'il était envoyé par le diable lui-même et qu'il devait s'éloigner d'eux.
Alors il fuit, pendant des semaines il marcha, se cacha dans des charrettes et finit par un heureux hasard par atteindre la côte ouest de la France. Il trouva un bateau qui se préparait à partir pour l'Amérique et y monta clandestinement. Quelques mois plus tard il arriva sur les nouvelles terres, il se fit appeler Peter et on l'embaucha en tant que serviteur. Cette vie là fut misérable, il tomba malade et mourut à trente ans. Il se réveilla, à nouveau jeune et âgé de vingt ans.
XVIIIème siècle
Le jeune français se trouva alors un nouveau contrat de serviteur, mais cette fois-ci, il s'occupa l'esprit en se posant des questions sur ses résurrections. N'y tenant plus, il se confia à l'un de ses meilleurs amis, un serviteur lui aussi. Il pensait qu'il ne répèterait rien à personne mais il s'était lourdement trompé. Le lendemain, son employeur vint le chercher au petit matin, le réveillant en lui apprenant qu'il avait cinq minutes pour déguerpir. Il ne se fit pas prier et s'enfuit en courant. Peter courut, courut, courut, pendant des heures, à en perdre haleine. Il finit par passer les frontières des colonies, se retrouvant dans les terres des natifs. Il tomba de fatigue et dormit au pied d'un arbre. En se réveillant, il décida de vivre seul, de se débrouiller avec ce que la nature avait à lui offrir. Il commença à se construire un abri, voyant parfois des ombres se faufiler entre les arbres, mais il ne s'en effraya pas plus que ça, pensant que c'étaient des animaux. Seulement c'étaient des amérindiens, qui l'observèrent pendant des semaines, pour s'assurer qu'il n'était pas une menace comme tous ces hommes blancs.
Un jour, alors que le jeune homme pêchait à l'aide d'un harpon qu'il avait fabriqué, il aperçut un homme sur la rive avec à ses côtés un cheval qui s'abreuvait. Peter n'avait pas eu de contact humain depuis quelques semaines, peut-être même plusieurs mois, il avait perdu la notion du temps. « Hey! » s'écria-t-il en se mettant à courir dans sa direction, mais l'eau le ralentissait. L'indien le fixait, une expression neutre sur le visage, comme s'il s'attendait à le voir. Le ressuscité finit par atteindre la berge, et s'approcha doucement de l'homme. Le cheval, curieux, leva la tête vers lui, et finit par lui mettre un coup de museau dans l'épaule. Peter rit doucement et posa une main sur le chanfrein de la bête après avoir demandé d'un regard l'autorisation de le toucher à l'inconnu. Il sourit doucement, cela devait faire plus de vingt ans qu'il n'avait pas senti le contact d'un cheval, et il n'avait pas réalisé à quel point ça lui avait manqué. L'indien finit par tirer sur la longe de l'équidé pour se remettre en route. Le jeune homme resta planté là, ne sachant pas s'il devait le suivre ou non, mais le cavalier s'arrêta quelques mètres plus loin pour se tourner vers lui. Il l'attendait. Alors Peter s'empressa de le rejoindre. Ils marchèrent pendant une bonne heure. Le jeune français découvrit alors le campement d'une tribu. Il y avait de la vie et de l'agitation partout, Peter ne savait plus où donner de la tête.
Il rencontra le chaman de la tribu, qui lui parla dans une langue qu'il ne connaissait pas. Il s'avéra que personne dans la tribu ne parlait ni anglais ni français. L'apprentissage de leur dialecte fut fastidieux mais Peter était d'une motivation incomparable. Il voulait comprendre ce peuple qui l'impressionnait. Il voulait faire partie de cette tribu qui semblait si unie. Un an plus tard il était capable de s'exprimer en phrases simples, mais aussi de comprendre des conversations plus complexes. Il adorait par dessus tout écouter le chaman. Ce dernier lui expliqua que la première fois qu'il avait vu Peter, il avait remarqué quelque chose dans son regard. Et puis il lui avait dit « cette vie là n'est pas ta première. Elle n'est pas ta dernière non plus. » C'est pourquoi son nom au sein de la tribu serait Serpent Valeureux. Serpent car comme lui il muait pour commencer une nouvelle vie, et Valeureux car il a prouvé sa valeur aux yeux du clan. Le lendemain eut lieu une cérémonie accompagnée d'un rituel. La tribu, sa nouvelle famille, dessina sur le visage de Peter des symboles à la peinture puis chanta des chansons traditionnelles. Enfin on lui offrit un jeune cheval, une jument apalooza. Peter écarquilla les yeux, cette jument, il l'avait remarquée. Farouche et sauvage, il avait été l'un des seuls à pouvoir l'approcher. Il sourit et remercia le chaman ainsi que la tribu de lui avoir offert un foyer, une maison, bien qu'il n'ait plus de toit en dur pour l'abriter, cette vie-là était meilleure que tout ce dont il avait pu rêver. Le lendemain, il put partir avec les chasseurs de la horde, il s'avéra plutôt bon, retrouvant les réflexes de guerre.
Sa vie au sein de la tribu fut merveilleuse, il connut la liberté, la joie, et même l'amour. Il épousa la femme qui lui avait enseigné l'usage des plantes, et qui avait été très patiente avec lui. Ils eurent deux beaux enfants. Puis l'idylle tourna au cauchemar. Les pionniers vinrent empiéter sur les terres de la tribu. Ils tuèrent du gibier en masse, là où les indiens ne prenaient que ce dont ils avaient besoin. Ce devint problématique, et Peter se proposa d'aller parler aux colons. Il alla à leur rencontre, il avait l'apparence d'un occidental, mais les vêtements des indiens, surprenant ses interlocuteurs. Les débuts furent hésitants, maladroits, cela faisait des années que Peter n'avait plus manié la langue de Shakespeare. Il finit par se faire comprendre, expliquant que s'ils ne régulaient pas leur chasse, il devraient partir. On lui rit au visage, alors il retourna auprès de son peuple pour raconter ce qu'il s'était passé. Les hommes déterrèrent leur hache de guerre, et allèrent en guerre contre ceux qu'ils considéraient désormais comme leurs ennemis. La bataille fut sanglante, barbare. Peter se prit une balle à l'épaule gauche mais l'adrénaline lui permit de continuer à se battre. Puis il s'en prit une dans le dos, et tomba de son cheval. La douleur était horrible, la balle était venue se loger dans sa colonne vertébrale. Son meilleur ami, son frère d'arme vint s'agenouiller près de lui, puis voyant qu'il ne pouvait rien faire pour le soulager, il se mit à le protéger au péril de sa vie, tandis que les yeux de Peter devenaient vitreux. Des gémissement, des bribes de paroles sans aucun sens s'échappaient de ses lèvres, puis il finit par rendre l'âme.
La guerre se termina, les indiens durent battre en retraite, mais ils emportèrent avec eux la dépouille de Peter, qu'ils laissèrent partir sur la rivière sur un radeau lors d'une cérémonie funéraire. C'était là où ils l'avaient trouvé, c'était là où le laisseraient partir. L'homme se réveilla à l'aube, trempé, le radeau à moitié noyé s'était coincé dans des branches. Sur sa poitrine, un tomahawk. Il ignorait complètement où il se trouvait. Et pire que tout, il ignorait qui il était. Il avait oublié, il ne se rappelait même pas de son nom. Son instinct lui dicta de garder son arme, et de suivre la rivière. Il finit par arriver à Boston, l'air complètement perdu.
Boston bouillonnait. L'armée britannique n'y était plus la bienvenue. Le peuple grondait, entrainant malgré lui le jeune homme qu'ils avaient baptisé Simon. Ils lui avaient inculqué tous les idéaux indépendantistes et révolutionnaires. Si bien que Simon fut dans les premiers rangs pour la Boston Tea Party. Ainsi que pour la guerre d'indépendance. Il était motivé pour une cause qui était devenue sa raison de vivre. Tout cela pouvait s'apparenter à du lavage de cerveau, mais au fond, il tenait cette envie de liberté, d'indépendance, de sa vie antérieur. Parfois la nuit, il rêvait d'un chaman, de grandes plaines traversées au galop. Il rêvait qu'il avait une femme et des enfants, et il finit par se poser des questions en regardant le tomahawk, la seule chose qu'il lui restait de ce qu'il avait bien pu être avant. Mais il n'avait aucun moyen d'en être sur. Et puis il se voyait plus âgé, comme si ces rêves étaient des visions d'un futur impossible, et pourtant il avait ce sentiment étrange qu'ils n'étaient qu'une réminiscence d'un passé, d'une autre vie.
L'indépendance fut proclamée, Simon épousa une femme qu'il n'aimait pas vraiment, mais ils s'entendaient plutôt bien. Ils eurent trois enfants. Après la guerre d'indépendance, la vie de Simon devint tranquille, celle d'un père de famille de l'époque, travaillant dans une imprimerie. Il eut alors l'occasion de s'instruire et de lire de nombreux livres. Il finit par mourir de vieilless au début du dix-neuvième siècle.
XIXème siècle
Il était désormais temps de partir conquérir les terres de l'Ouest. Se faisant désormais appeler James, le ressuscité vola un cheval et partit en solitaire dans les terres inhospitalières de l'Ouest. Il vécu seul pendant une dizaine d'années. Puis il se fit chasseur de prime. Il n'y avait pas beaucoup de gens civilisés à l'Ouest, et les shérifs avaient du mal à faire régner l'ordre. Mais James lui, savait manier le pistolet à la quasi perfection. Très solitaire à cette époque, c'était surtout parce qu'il s'était rappelé de sa femme et de ses enfants, qu'il ne retrouverait surement jamais. Alors il tenta de ne plus s'attacher aux humains, car à partir de ce moment, il avait le sentiment qu'il ne l'était plus, humain. A force de mourir et de revenir, il devait bien se rendre à l'évidence, il était un monstre sous une apparence d'homme. Il passait le plus clair de son temps seul mais il entrait parfois dans des saloons, pour boire un peu d'alcool. Dans ces lieux plein de fumée stagnant au plafond et de coquilles étalées par terre, peu de gens l'approchaient, car il avait une aura qui faisait froid dans le dos, il dégageait quelque chose qui provoquait peur et angoisse. Seules les serveuses, assez effarouchées et plutôt attirées par tout l'or qu'il transportait avec lui osaient s'approcher. Les rumeurs se répandaient comme des traînées de poudre, tout le monde savait quel redoutable chasseur de prime il était, et à quel point il n'appréciait pas la compagnie. Il aurait voulu qu'il en soit autrement, mais c'était le seul moyen de ne pas s'attacher à qui que ce soit, le seul moyen de ne pas souffrir.
Un jour il tomba sur une affiche de prime qui l'intrigua. C'était une femme. Elle avait un joli visage mais l'expression farouche de celle qui n'a peur de rien. Il arracha le bout de papier d'un mur et se mit en quête de la trouver. Rose qu'elle se faisait appeler. Il enquêta dans les saloon, posa des questions aux shérifs mais personne ne l'avait vue. Cette femme était un fantôme, invisible, insaisissable. Un soir, alors qu'il buvait un verre au bar, sur le point d'abandonner, il croisa le regard de la chanteuse qui lui fit un clin d’œil. Son cœur rata un battement. C'était elle. Aucun doute c'était elle. La première comparaison qui lui vint à l'esprit, fut celle d'un renard. Elle était rousse mais son visage était fin, et son regard traduisait la ruse et la malice dont elle était capable. Elle rayonnait d'assurance et de beauté. Il glissa une main à sa ceinture, la posant sur le manche de son colt, se leva et s'approcha d'elle, sans même tenter d'être discret. Elle s'arrêta soudainement de chanter. « Tiens, tiens, mais qui avons nous là? James d'Albaret, le fameux chasseur de prime! Tu es bien loin de chez toi, dis moi? » James serra les mâchoires tandis que les gens présents dans la salle se mirent à rire bruyamment. « Je n'ai pas de chez-moi. Je vis sur le dos de mon cheval et je tue les hors-la-loi de ton espèce pour me faire un peu d'oseille. » dit-il de sa voix rauque. « Eh bien sache, mon petit James, dit-elle en sautant au pied de la scène, que tu n'es pas le bienvenu ici. Tous ces gens sont là pour me défendre au cas où quelqu'un en voudrait à ma vie. Je suis un héros pour eux, je leur apporte richesse et sécurité, alors ils me doivent bien ça. » « Une vraie hors-la-loi serait capable de se défendre toute seule. » répondit-il simplement, avec un sourire suffisant. Leurs corps n'étaient plus séparés que par quelques centimètres, en constante tension, fébriles, prêts à réagir au quart de tour. « oh mais je sais très bien me défendre toute seule. J'aime juste... » Elle approcha sa bouche de son oreille « commander. » murmura-t-elle suavement avant de reculer d'un pas, un sourire diaboliquement divin sur le visage. Les poils sur la nuque de James se dressèrent. Elle était beaucoup trop intéressante pour la tuer de suite. Cette seconde d'hésitation suffit à la jeune femme pour prendre la fuite. Il se jeta à sa poursuite mais les clients du bar lui barrèrent le chemin. « Laissez moi passer! » rugit-il. Il poussa l'un d'entre eux et se glissa dans l'ouverture ainsi crée. Il passa par la fenêtre et se rua dehors. Il entendit son rire cristallin dans la nuit. Il se mit à courir dans les rues de la petite ville, la lune éclairant ses foulées de sa lueur blanchâtre. Il était en colère, en colère contre lui-même pour s'être laissé berné l'espace d'une seconde par cette petite garce. Il allait la retrouver, et lui coller une balle entre les deux yeux, comme il le faisait avec tous les autres. Colt en main, il progressait jusqu'à passer devant une maison quelconque. Mais le grincement d'une chaise à bascule vint faire vibrer ses tympans. Il s'arrêta.
Le silence régnait dans la ville, souillé seulement par le bruit du vent, de sa respiration et de la chaise. Elle était là, dans la pénombre, à se délecter de sa victoire. Elle avait réussi à déstabiliser le grand James d'Alabaret. Elle se leva et s'approcha de lui. Le clic d'une arme qu'on charge se fit entendre. « Range-moi ça beau brun, on sait tous les deux que t'auras pas la trempe pour tirer. » Pour toute réponse il colla le canon de son pistolet contre son front. Dans son regard on lisait de la rage et de la frustration. Elle leva les mains. « Je t'intrigue, tu m'intrigues. Laisse-nous une journée. Ensuite, tu pourras faire ce que tu veux de moi. Je te suivrai en prison s'il le faut. » Sans piper mot, il rangea le revolver, et lui attacha les mains. « Marché conclu. » finit-il par répondre, et tandis qu'elle le fusillait du regard, il ne lui offrit qu'un sourire angélique. Il remonta sur son cheval, et la tint par une longe, la forçant à marcher derrière. Au bout de quelques heures de marche, il finit par s'arrêter. Il mit pied à terre, et attacha l'animal à un arbre mort avant d'aller s'asseoir un peu plus loin. « On sera bien là. Qu'est-ce que tu veux savoir? » « Quel âge as-tu? » « Vraiment? Tout ça pour ça? » « C'est une question très sérieuse. J'ai eu une impression étrange en te voyant. T'as pas trop l'air vieux, mais tes yeux jurent avec le reste. » L'homme eut un moment de réflexion intense, semblant peser le pour et le contre. « Tu vas mourir ce soir, alors, à quoi bon? T'emporteras ça dans ta tombe. Je suis né y a très longtemps. Les colonies n'existaient même pas. J'ai eu plusieurs vies. Mais lorsque je meurs, je reviens à la vie le lendemain. Je ne peux pas mourir définitivement, je suis condamné à voir ceux que j'aime mourir et à continuer à fouler cette terre poussiéreuse seul. Je ne le deviendrai jamais, poussière. » dit-il en égrainant une poignée de sable. Il eut un rire triste. « Eh bien je ne m'attendais pas à ça... » « Tu ne me traites pas de taré? » Elle rit. « Non, tu n'es pas assez intelligent pour inventer une histoire pareille! »
Ils passèrent la soirée à se raconter leurs histoires respectives. Orpheline, elle avait choisi cette vie de bandit pour échapper à la misère. Et comme elle était plutôt bonne dans ce qu'elle faisait, et que ça lui plaisait, c'était devenu un mode de vie. Elle volait aux gens qui n'étaient pas dans le besoin et partageait son butin avec ceux qui l'étaient. Au bout de quelques heures, il défit ses liens. « Qu'est-ce que tu fais? » « Je te libère. Je dirai que tu étais bien trop maline pour moi. » Il lui sourit, et elle le regarda, incrédule. « Tu peux partir, vas-y. » « D'accord, mais il y a quelque chose que j'ai eu envie de faire depuis que je t'ai vu entrer dans le saloon. » Elle saisit le visage du chasseur de prime et posa délicatement ses lèvres sur les siennes. A ce moment précis, toutes les promesses que James s'était faites, s'envolèrent en fumée. Son corps n'était plus que brasier ardent, qu'il consuma avec elle, jusqu'à l'aube. Tandis que le soleil laissait échapper ses premiers rayons, James regardait Rose dormir contre lui. « Bonjour. » souffla-t-il doucement. « Bonjour. » Ils laissèrent le silence retomber pendant quelques minutes. « Tu pourrais venir avec moi. » dit-il. « Comment ça? » « On ne descendrait que les connards et les autres comme toi on les laisserait partir. On serait les héros du peuple, craints par tous les bandits du far-west. » Elle l'embrassa. « C'est un oui? » elle sourit simplement, et ce moment reste encore aujourd'hui l'un des souvenirs les plus heureux d'Hadrien.
Ils vécurent ainsi pendant une dizaine d'année, sauvant la veuve et l'orphelin, remportant des primes et mettant les vrais mécréants derrière les barreaux. Un jour cependant, ils avaient sous estimé leur cible. Rose commit une imprudence et se prit une balle dans le ventre. James, pris de panique, l'emporta loin du combat. Il savait, pour être déjà mort par balle, à quel point c'était douloureux. Il la déposa un peu plus loin au sol et retira sa chemise pour tenter de stopper l'hémorragie. Elle gémissait, poussait des cris d'animal blessé, lui fendant à chaque fois un peu plus le cœur. Elle posa sa main sur la joue du mutant. « T'es la meilleure chose qui me soit arrivée. » dit-elle faiblement. « Ne dis pas ça, je t'ai... je t'ai tuée putain. » « C'est pas vrai... C'est pas vrai... C'est moi qui ai merdé. Je t'aime... James. On se... reverra au paradis, ou plutôt... en enfer. On s'est pas mariés. » Ce furent ses derniers mots, la vie la quitta. James la serra contre lui en pleurant. Il hurla sa frustration, les dernières volontés de Rose ne seraient jamais exaucées. James n'irait jamais en enfer, ni au paradis. Il ne deviendrait jamais poussière, alors qu'il le méritait, pas comme Rose.
Le reste de ce siècle, il le passa encore plus en solitaire, errant avec pour seule compagnie son cheval, ne parlant à d'autres humains qu'en cas d’extrême nécessité. C'est à partir de cette période qu'il commença à perdre goût à la vie, à l'envie de continuer. A quoi bon, si tout le monde autour de lui disparaissait, ne laissant en lui que des trous béants. Avec l'invention des voies ferrées, il finit par voyager clandestinement à bord de trains, les laissant le mener vers de nouveaux horizons. Cette vie lui plaisait bien, mais il se faisait vieux, et finit par mourir d'épuisement, doucement, dans un wagon vide.
XXème siècle.
Dans cette nouvelle vie, il continua à voyager, mais partit plus loin encore. Au hasard des rencontres au bord de la route, il laissait les gens l'emmener, se faisant appeler Auguste. Il arriva au Mexique, puis descendit encore pour se perdre en Amérique latine quelques années. Mais les états-unis lui manquaient trop, alors il finit par y revenir une quelques années plus tard. Le titanic était sur le point de quitter le port, et il embraqua clandestinement. Il y rencontra beaucoup de gens, dont une certaine Hollya, ainsi qu'Henri. Malheureusement le bateau finit par sombrer, et Auguste mourut d'hypothermie. Il se réveilla le matin et fut sauvé par l'une des dernières équipes de sauvetage au petit jour.
Quelques années plus tard, la première guerre mondiale était en marche. S'il était resté en Argentine, il n'en aurait surement pas entendu parler, et ne se serait pas senti obligé d'y participer. Car avec sa malédiction, il avait l'impression de devoir partir en guerre, car il comptait pour plusieurs hommes. La participation des états-unis ne dura qu'une année, mais elle fut très difficile pour lui. Très noire, il avait presque oublié à quelle point les humains adoraient faire la guerre, et il leur en voulut beaucoup, surtout quand ses frères d'armes tombèrent au combat. De retour aux USA, il fut embauché pour construire les grands gratte-ciels de New-York. Un métier dangereux et mal payé, mais rien n'est trop beau pour le développement de ce pays, n'est-ce pas? La crise finit par arriver, tout devint encore pire. Hadrien se maria cependant, et eut quelques enfants, mais la vie était vraiment difficile. Il finit par tomber du haut de ces tours de fer, et mourir. Ce fut sans doute sa mort la plus terrifiante. Puis la guerre, encore la guerre.
Celle-ci fut encore pire que l'autre, bien que le mutant, qui répondait désormais au nom de Taylor, ne pensât pas que ce soit possible. Un homme à la tête d'un pays tuait des gens pour leur couleur de peau, d'yeux, de cheveux, à cause de leur orientation sexuelle ou de leur handicap. De nouvelles armes, plus dangereuses, plus meurtrières encore. La terreur, partout. Taylor ne la vit au départ que dans les journaux, mais elle provoquait déjà en lui des sentiments noirs, de la haine de la colère. Il fut malgré lui enrôlé pour le D-Day. Le 6 juin 1944, il se retrouva à courir sur une plage de Normandie, sous une pluie de balles. Courir, se mettre à couvert, courir, se mettre à couvert. Il n'y avait pas de place pour les sentiments, il avait déjà laissé John derrière lui, John ce gamin envoyé à la guerre, qui était resté pétrifié devant cette moitié de cadavre sur laquelle il avait failli marcher. Taylor lui, traçait sa route en mode pilote automatique, et tant pis s'il devait mourir. Il était si proche du but, et pourtant, il se fit descendre au pied de ces immenses blocs de béton. Le lendemain, il se réveilla au milieu des cadavres. Il déambula alors sur la plage, après s'être assuré qu'il ne risquait plus rien. Il chercha des survivants, qu'il aida du mieux qu'il put. Il passa l'année de la libération à venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Et quand il pouvait coller une balle dans la cervelle de ces connards de nazis, il le faisait sans hésiter. De retour en Amérique, les soldats ont été accueillis en héros, mais Hadrien préféra s’éclipser, refusant d'être acclamé pour avoir tué d'autres personnes. Il vola une harley davidson à l'armée, une wla qui avait servit aux soldats, et s'enfuit. Il passa une dizaine d'années seul sur sa moto, à avaler les kilomètres et à dormir où il le pouvait. Une fois de plus, il s'isolait de la société.
A peine dix ans après la fin de cette guerre de malheur, les Etats-Unis s'engageaient dans le conflit contre le Vietnam. Hadrien était en colère, très en colère, à croire qu'il ne savaient faire que ça. Ce pays avait soif de montrer toute son artillerie, de montrer à quel point il était supérieur aux autres, peu importe combien de vies ça lui coûterait. Et un jour, dans un bar, après avoir bu quelques verres, il fit l'erreur d'ouvrir la bouche, de critiquer cette guerre. Il se trouvait au Texas, et les rednecks du Sud n'ont jamais apprécié qu'on critique leur pays. Hadrien provoqua une bagarre, il se battit contre dix hommes, mais tout se termina bien vite, lorsqu'il fut descendu au fusil à pompe par le propriétaire. Radical mais efficace. Il l'enterrèrent dans le désert. Il avait toujours eu horreur qu'on l'enterre, c'était la chose qui l'énervait le plus dans les conséquences de sa mutation.
En se réveillant, il vola une autre moto, et reprit son voyage. Quelques mois plus tard, il rencontra un groupe de jeune pacifistes à Washington DC. Il les rejoignit alors, heureux d'avoir trouvé des gens qui partageaient son point de vue. Ils lui montrèrent qu'il n'y avait pas besoin d'user de ses poings. C'est ainsi qu'il connut le mouvement hippie, qu'il s'y intégra et découvrit les joies de la drogue. Mais, au milieu des années soixante, après avoir pris du lsd lors d'une soirée sur la plage, il se noya dans l'océan. Il a quelque peu honte de cette mort, mais aujourd'hui, il préfère en rire.
Il se nomma Jaime, et commença alors son avant-dernière vie en bossant comme serveur dans un fast-food. C'est là qu'il rencontra sa future femme. Elle lui paraissait jolie et parfaite, alors il en tomba amoureux. Ils se marièrent un an plus tard. Ils eurent plusieurs enfant, et c'est là qu' l'image de sa femme s'effrita un peu. Elle était mauvaise avec le plus jeune de leurs enfants, car il avait quelques difficultés. Alors Jaime tentait de le protéger comme il le pouvait, d'elle et de ses autres enfants. Les disputes éclataient souvent dans le couple, une fois que les enfants étaient couchés. Mais Jaime refusait de partir, le divorce n'était pas une option pour lui, il le faisait car il pensait que c'était mieux pour les enfants. Il le faisait aussi parce qu'il ne voulait pas laisser Dorian tout seul avec eux.
XXIème siècle
Jaime était allé faire les courses à pied. Il avait commis l'erreur de ne pas regarder avant de traverser la route. Il n'avait rien entendu, mais avec l'apparence d'un homme de plus de soixante ans, peut-être était-il devenu dur de l'oreille. Alors qu'il était au milieu du passage piéton, il tourna la tête et vit la voiture foncer droit sur lui. Puis le noir complet. Lorsqu'il se réveilla, il était compressé par de la terre. Il avait été enterré. Cela le plongea dans une colère noire. Il ressorti de terre, causant les hurlements de quelques personnes qui passaient par là et se mit en quête de trouver ceux qui lui avaient fait ça. Il trouva rapidement la voiture, cabossée à l'avant et rouge comme dans son souvenir. Il se mit à hurler sur ses propriétaire, et l'image d'un homme couvert de terre et très en colère, devait être terrifiante, surtout en leur disant qu'il revenait d'entre les morts. Finalement, il parvint à trouver un terrain d'entente avec Oz et Edwige, et décida de voyager un peu avec eux. Ensuite, leurs chemins se séparèrent et Hadrien reprit la route seul, après avoir volé un cheval.
Quelques années plus tard, des gens de cet étrange institut finirent par le trouver, et l'inviter à la rejoindre. Loin d'ignorer qu'il n'était pas le seul à avoir de telles capacités, il fut tout de même surpris de ne jamais avoir entendu parler de ce lieu. Il accepta de venir, et y passa une année en tant qu'élève. Voyant que finalement, il n'avait pas grand chose à tirer de ces enseignements, il devint professeur, afin de transmettre son savoir et tout ce qu'il avait déjà vécu. C'était agréable d'enfin se sentir utile, et ce, sans avoir à utiliser d'arme.