Maru Shota

Maru est née environs un an et demi après son frère, Takeshi. Elle est la fille de Shin et Kin, deux japonais d'origine coréenne. Vivant dans un petit appartement de la banlieue de Tokyo, cette famille ne s'est jamais distinguée des autres.
A l'époque, Shin était un « salaryman » : un employé quelconque, œuvrant à la croissance d'une grande entreprise multinationale. Comme ses collègues, il passait au moins dix heures par jour au travail et il lui arrivait régulièrement de dormir sur place. De temps à autre, il sortait au karaoké avec ses collègues de bureau, afin de relâcher la pression. Naturellement, il ne prenait jamais de vacances. Shin avait de l'ambition, à l'époque. Il espérait bien gravir les échelons et, un jour, occuper un poste à responsabilité.
Kin, de son côté, était femme au foyer. Son temps était dédié à l'entretien de la maison, la préparation des repas et l'éducation des enfants. Quand son mari rentrait, elle veillait à l'accueillir comme toute bonne épouse : avec un bon repas et une multitude d'attention. Comme beaucoup de ses semblables, Kin souffrait silencieusement de sa condition de femme au foyer. Elle aurait bien voulu poursuivre des études, mais sa famille l'avait incitée à y renoncer pour un bon mariage.
Le couple s'aimait, malgré tout. Mais l'un comme l'autre vivaient prisonnier de son carcan social, incapable de s'interroger sur ses véritables désirs. Avec le temps, les passions se murent en un genre d'affection morne, où chacun oublie de se regarder. C'est entre ce père stressé et absent et cette mère, pour qui l'amour et l'attention était aussi une source d'aliénation, que Maru grandit.
Bien heureusement, la famille Shota comptait aussi des tantes, des oncles, des cousins et des cousines et des grands-parents aimants, investis dans le bien-être commun. Maru passa beaucoup de temps en compagnie des siens, baignée d'énergie positive. La jeune fille démontra très vite un caractère extraverti et plein d'humour. Passant beaucoup de temps en compagnie des garçons de sa famille, elle fit les quatre cent coups et profita pleinement de son enfance. Aussi, quand son grand frère exprima le désir de faire du karaté, la petite fille fit de même.

A l'heure de l'adolescence, Maru se recentra sur les études. Elle venait d'entrer au collège. Ce fut, naturellement, une époque bouleversante. La puberté sonnait à la porte. Maru découvrit le premier frisson de l'amour, en même temps que les amies, la rivalité et les rumeurs. Entre autres choses, elle fit la connaissance de Naoko, une élève de sa classe d'origine coréenne qui devint rapidement sa meilleure amie. C'est ensemble qu'elles firent leur première sortie shopping « entre copines », les premières confidences et toutes ces choses importantes pour une jeune adolescente.
Mais un beau jour, les origines de Naoko furent dévoilées à la classe, par une fille d'un groupe rival de Maru. C'est un fait peu connu en occident, mais la minorité coréenne fait l'objet d'une intense discrimination au Japon. Le mariage, la location d'un appartement et même l'emploi dans une grande entreprise japonaise est pratiquement inaccessible aux coréens. Avoir la nationalité japonaise ne suffit pas à effacer des origines qu'un individu malveillant s'affaire parfois à exhumer.
Naoko en fit les frais. Elle se retrouva isolée du reste de la classe du jour au lendemain. Maru, quant à elle, se retrouva face à son premier dilemme moral : soutenir son amie ou s'éloigner et rester fréquentable aux yeux du groupe. Naoko savait que Maru était d'origine coréenne, elle aussi. Elle ne doutait pas de la fidélité de son amie. Mais, contre toute attente, cette dernière se déroba et délaissa Naoko. L'isolement et les moqueries déprimèrent la jeune fille qui ne tarda pas à changer d'établissement.
Maru, quant à elle, baignait de honte. Elle ne parvenait pas à expliquer son propre comportement et la lâcheté soudaine dont elle fit preuve. Qui plus est, la perte de Naoko lui brisa le cœur. Pendant plusieurs mois, Maru n'était plus que l'ombre d'elle-même. Elle ne riait plus, mangeait à peine. Rien ne semblait en mesure d'apaiser son tourment.

Cette époque congrua avec les premières manifestations de son gène mutant. En plein cœur de l'hiver, Maru sentait ses mains chauffer, jusqu'à provoquer de si vives douleurs qu'elle en pleurait. Elle sentait l'énergie circuler, à l'heure des entraînements sportifs, comme un fluide ardent dans tout son corps. La douleur la tiraillait, au point qu'elle pouvait rester alitée des jours durant, sans qu'aucun médecin ne soit en mesure d'expliquer l'origine de son mal.
En dépit d'une condition physique difficile, Maru continuait le sport. Dépenser son énergie semblait le seul moyen véritablement efficace, pour elle, d'atténuer la douleur. Les techniques de gestion de l'énergie, proposées par les arts martiaux, lui permettaient de mieux sentir ses flux d'énergie interne. Malheureusement, cela ne suffisait pas toujours.
C'est une nuit, alors qu'elle n'arrivait pas à dormir, que Maru identifia véritablement sa particularité. Elle s'affairait à répéter un enchainement, sur le toit de son immeuble, les membres à demi engourdis par un tiraillement brulant. Son corps la faisait terriblement souffrir. Elle parvenait à peine à bouger.
Dans ses mains crispées grandit, peu à peu, une sensation comparable à l'accumulation d'un fluide chaud pressant contre les paumes. Maru n'avait jamais rien éprouvé de tel et c'est dans une décharge douloureuse qu'elle généra sa première boule d'énergie. La sphère ronde et lumineuse s'envola dans les nuées, pour se disperser dans les nuages à la manière d'un éclair. Le choc fut si violent, pour Maru, qu'elle s'évanouit.

Maru se réveilla dans son lit avec une forte fièvre. Une averse avait commencé à tomber peu après son évanouissement. Elle était malade et complètement perturbée. Pendant des jours, elle questionna son souvenir, persuadée qu'il ne s'agissait en fait que d'un rêve. Mais curieusement, en dépit de la fièvre, elle ne souffrait plus. Son corps la laissait en paix et, pour la première fois depuis des mois, elle se sentait bien.
Malheureusement, cette accalmie ne dura pas et Maru senti bientôt revenir la douleur. Mais la période de tranquillité qu'elle venait de traverser lui faisait trop envie pour qu'elle accepte de retrouver son lot de souffrance quotidienne. Maru attendit donc que l'occasion se présente pour tenter de reproduire les images de son curieux rêve. Les enchainements, les sensations : elle cherchait à recréer le flux en elle.
Un mois passa, puis deux, sans que Maru n'obtienne le moindre résultat. La jeune fille conclu simplement au rêve. Un demi regret, car même si un tel phénomène avait de quoi effrayer, Maru convoitait plus que tout de ne plus souffrir. Elle entreprit donc des recherches sur Internet. Passés les premiers résultats, un peu douteux, elle tomba bientôt sur des sujets de discussion traitant des mutants. Mais, une fois arrivée à ce stade, Maru renonça. Il y avait trop d'enjeux en course, pour qu'elle s'y plonge sereinement.
La vie retrouva son cours. Maru étudiait à présent par correspondance. Les douleurs quotidiennes l'empêchaient de mener une scolarité normale. Cependant, elle se déplaçait toujours pour assister aux cours de karaté. La famille avait retrouvé un semblant de stabilité. Takeshi veillait également à son échelle au bien être de sa sœur, relativisant bon gré mal gré la situation.

Un beau jour, sa mère et elle se rendirent au marché, afin de faire les courses. C'était le début du printemps. Maru était agitée et incapable de se concentrer sur ses leçons. Elle accompagna donc sa mère, dont le moral était au plus bas depuis que la santé de sa fille s'était dégradée. Entre les étals, Maru ne tenait plus. Elle avait l'impression de vibrer, de bouillir intérieurement et ses mains la brulait.
C'est sur le chemin du retour que l'énergie se libéra, sous la forme d'un orbe lumineux, pour la seconde fois. Maru s'évanouit à nouveau, vidée brutalement de ses forces. Kin, quant à elle, manqua de défaillir aussi. Mais en femme dévouée et courageuse qu'elle était, elle prit sur elle pour porter sa fille jusqu'à la maison familiale.
Ce soir-là, Shin rentra à la maison. Le foyer bouillonnait, tandis que Maru dormait encore. A son réveil, les questions commencèrent à pleuvoir. La jeune fille était aussi perdue que ses parents. Le père, comme le frère, ne savait pas quoi penser ni qui croire.
La réponse arriva par l'une des tantes de Maru. Celle-ci affirma avoir déjà eu vent de pareils phénomènes, notamment par le biais d'une amie enseignante. De fil en aiguille et à force de recherche, le mot « mutant » fut prononcé à nouveau. Maru était bouleversée, tout comme le reste de sa famille. Fort heureusement, cela n'influença pas l'attachement qu'on lui portait. Chez les Shota, la famille était tout. Par ailleurs aucune confirmation, quand à la présence du gène x chez Maru, n'avait encore été apportée.

Le temps suivi son cours pendant quelques semaines, avant qu'un nouvel incident ne survienne. Cette fois ci, ce fut au tour du père d'être frappé de malchance. Shin avait souffert silencieusement des questions soulevées par l'état de sa fille. Il fut licencié sans ménagement, au nom d'une soi-disant baisse de productivité.
Le père accusait davantage la découverte de ses origines qu'un véritable manque d'efficacité. Depuis quelque temps, Shin était en course pour l'obtention d'une promotion très convoitée. Il était persuadé que l'un de ses collègues avait parlé, afin de lui passer devant, tout en l'évinçant définitivement. L'homme n'avait aucune preuve, mais il n'en était pas moins convaincu. Par la suite, Shin eu beaucoup de mal à retrouver un emploi. Il pensait être définitivement hors course, dans les grandes entreprises japonaises et cela acheva de détériorer son moral.
La famille Shota était au bord de l'implosion. Shin, plus déprimé que jamais, fuyait ses responsabilités. Kin peinait à maintenir un équilibre bousculé par les changements récents et Takeshi affirmait de plus en plus un caractère rebelle, en quête d'attention perdue. Maru quant à elle était rongée entre la culpabilité, persuadée d'être la cause de tout, les questionnements relatifs à sa nature et la douleur quotidienne.

La solution arriva par la famille, une fois encore. Grâce aux connaissances d'une tante bienveillante, la même qui nomma le mal de Maru, une opportunité fut offerte à Shin : un poste intéressant dans une entreprise américaine, en collaboration avec un ami expatrié, lui aussi, du Japon. L'idée était audacieuse, car elle impliquait un changement radical de vie. La culture américaine est très différente de la culture japonaise. C'était un pari risqué.
Toutefois, la situation familiale des Shota était telle que la décision fut prise rapidement et sans regret. Aux États-Unis, Shin était convaincu d'être pris au sérieux et épargné de la discrimination nippone. Kin cultivait également la douce illusion que la particularité de sa fille serait davantage acceptée dans ce pays moderne et ouvert qu'elle imaginait être l'Amérique.
C'est à l'aube des quinze ans de Maru que les Shota décolèrent pour traverser l'océan, en direction d'un pays inconnu, porteurs de tous leurs espoirs. La famille posa ses valises dans les environs de New-York. Shin embaucha la semaine suivante, tandis que Kin déploya le plan qu'elle avait prévu pour les enfants. Il va sans dire que l'idée d'éduquer ses enfants « à l'Américaine » la fit frémir dans un premier temps, mais la situation impliquait son lot de compromis.
Takeshi intégra un établissement public relativement bien réputé. L'adolescent eut quelques difficultés à s'adapter, les premières semaines. Mais dès qu'il intégra le club de karaté de l'école, il s'intégra à un petit groupe de garçon et tout alla pour le mieux. Maru, quant à elle, profita des connaissances de son frère pour recommencer à sortir. Peu après, elle intégra à son tour un groupe de Karaté féminin, tout en continuant à suivre des cours par correspondance.
Il fallut quelques mois aux Shota pour s'habituer à leur nouveau mode de vie. Toutefois, les bénéfices de ces changements se firent rapidement sentir. Shin voyait sa rigueur et son abnégation récompensée, fier de pouvoir revendiquer sans honte ses origines coréennes. Kin avait intégré un cercle littéraire, composé de plusieurs femmes au foyer du quartier. Elle avait de nouvelles passions et recommençait à vivre véritablement. Takeshi trouvait dans les fêtes et les liens amicaux le soutien dont il avait tant manqué ces dernières années, tandis que Maru découvrait une culture nouvelle, qui l'aida à oublier un peu ses tracas.

Ces dernières années, Maru avait dû développer un nouveau moyen de se faire des amis. Elle n'allait plus à l'école et, en dehors de ses amies du club de karaté, peinait à rencontrer de nouvelles personnes. La jeune fille s'était donc tournée vers Internet, pour palier à ce manque de relations amicales. Les forums de jeu de rôle comptaient au rang de ses divertissements préférés.
Maru aimait passer des heures à narrer les aventures de personnages fictifs, dans lesquels elle se projetait parfois. Et quand l'écriture ne lui faisait pas envie, la jeune fille lisait ou regardait des animés. Les personnages de manga aux pouvoirs extraordinaires la fascinaient. Elle s'identifiait volontiers à ces héros, comme si leur existence fictive adoucissait l'acceptation de sa propre différence.
C'est par cet univers coloré et volontiers drôle que l'adolescente garda le sourire, en dépit de l'adversité. Maru croyait qu'une attitude positive contribuerait à la faire aimer des autres. Aussi, elle veillait à n'afficher que le meilleur de ses sentiments, quand bien même le champ de sa douleur demeurait grand.
Maru commença à rencontrer ses amis du net. Ces sorties l'aidaient beaucoup à se sentir intégrée au monde, même si elle devait parfois s'en priver à cause des crises liées à son pouvoir. La jeune femme souffrait toujours par intermittence. Elle parvenait mieux, cependant, à anticiper les « décharges » : ces moments où l'énergie excédentaire s'expulse de son organisme. Mais la famille s'était faite à cette étrange particularité et le secret intégra vite l'ordre quotidien.

Peu avant l'anniversaire des seize ans de Maru, les Shota reçurent la visite d'un représentant de l'institut Xavier. Ce jour marqua le dénouement de la grande enquête sur l'origine réelle des troubles de l'adolescente. Maru était désormais fixée sur sa véritable nature. Elle savait aussi qu'il était possible pour elle d'apprendre à contrôler ce curieux talent. Un avenir sans douleur : c'était la promesse de cette formation.
Maru insista pour qu'on l'y inscrive. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas souhaité quelque chose si ardemment. Shin et Kin donnèrent assez naturellement leur accord : ils comprirent rapidement l'intérêt qu'un tel projet représentait pour leur fille, bien que le fait qu'elle soit belle et bien porteuse du gène x reste difficile à appréhender.
Maru parti donc pour l'institut. A bientôt dix-sept ans, elle ne regrette pas son choix et remercie le destin d'avoir mené sa famille jusqu'à New-York. C’est empreint du souvenir amer de son amitié perdue avec Naoko, que la jeune Maru jura de ne jamais plus avoir honte d’affirmer sa différence.