Mélissa Gardom

Mélissa Gardom traînait plusieurs valises derrière et le crissement produit contre les petits cailloux du chemin menant à l’Académie avait quelque chose de rassurant. Plus en tout cas que le bâtiment qui se profilait devant elle. Maintenant que son ombre s’étendait autour d’elle, la jeune femme se demandait si elle n’aurait pas dû accepter l’aide qu’on lui avait proposé à l’entrée pour amener ses affaires et lui montrer les lieux. La sensation d’être une gamine arrivée dans son nouveau collège avait quelque chose intensément désagréable : elle avait dix-neuf ans quand même.

La porte était à la mesure de l’école et dégageait cette même impression étrange : trop vieille pour son utilité. Elle avait imaginé une école high-tech, bourrée de protection pour accueillir les étudiants… spéciaux. Dont elle faisait d’ailleurs partie. Au lieu de cela, elle se retrouvait dans une des annexe d’un de ses châteaux qu’elle avait visité toute petite, le long de la Loire. On aurait dit que quelqu’un avait déplacé une maison entière depuis la vieille Europe jusqu’ici.

Prenant conscience qu’on la dévisageait depuis l’autre côté de la porte, elle s’empourpra et la poussa lentement. Un adulte — trop vieux pour être un étudiant — l’accueillit avec un sourire plus d’aimable et s’offrit de la conduire au bureau du Professeur Xavier. Mélissa n’avait pas oublié qu’elle devait à cet homme un entretien. Elle opina lentement, mais attendit avant de le suivre, car elle ne savait que faire de ses affaires. Quand il lui fit signe de les laisser là, elle trottina pour le rattraper, tentant d’esquiver les regards de quelques élèves qui passait dans le hall. Il devait encore y avoir cours. Après quelques secondes seulement passées derrière l’homme, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas prononcé un seul mot sinon « Hello » depuis son arrivée.

— Hum… Merci de me montrer le chemin, Monsieur. Je n’aurais jamais trouvé tout seul.

Même sans entendre sa phrase, elle fit la grimace à son accent horrible. Si parler anglais ne lui avait jamais posé de problème, la jeune femme ne s’était jamais départie d’un accent français qu’elle jugeait à couper au couteau. Son interlocuteur lui sourit et s’arrêta devant une porte au moment de dire « De rien. » Il frappa ensuite et attendit une réponse que Mélissa n’entendit pas.

Quelques secondes plus tard, elle était à l’intérieur et il était là. Son fauteuil roula vers elle.

— Bonjour Mélissa et enchantée. Nous avons parlé ce matin au téléphone.
— Enchantée Professeur, répondit-elle poliment en s’avançant dans le bureau.

Il avait la même voix rassurante qu’au téléphone, peut-être qu’il avait le pouvoir de ne pas se faire déformer la voix par le premier appareil venu. La pensée faillit la faire sourire. Lui en tout cas, il sourit.

— Je t’en prie, installe-toi. Le voyage s’est bien passé ?

Elle avait passé plusieurs heures dans la voiture à dormir, après avoir dormi dans l’avion. Sans trop s’avancer, Mélissa se pensait capable de rester éveillée pendant 36 heures sans problème.

— Je n’ai pas à me plaindre, Professeur. C’était reposant.
— Bien. Tu excuseras la formalité, même si je connais déjà ton dossier, tous les étudiants de l’institut doive passer un entretien avec moi.

Elle n’avait rien à lui excuser, c’était étonnamment agréable que de le rencontrer en personne. Ils avaient beaucoup communiqué dans le mois passé, après qu’un de ses intermédiaires les ai mis en contact. Jusque là, elle s’était imaginé une secrétaire écrivant les mails et propos rassurants, mais à l’entendre parler, il ne faisait aucun doute que chaque mot reçu avait été de sa bouche. L’importance de cet homme ne lui échappait pas non plus, mais elle avait encore du mal à vraiment réaliser.

— Aucun problème, Professeur.
— Eh bien au moins tu n’auras pas de difficulté avec les formules de politesse anglaises.

Elle se sentit rougir à nouveau et réprima une grimace. Il lui avait assuré plusieurs fois que son niveau d’anglais était pleinement suffisant pour suivre le cursus de l’école. Ce n’est pas comme si elle avait le choix de toute façon, on lui avait d’abord parler d’un Refuge en Europe, mais cela semblait hors de question maintenant. Elle n’avait pas demandé les détails.

— Je me débrouillerais Monsieur.

Il lui sourit de nouveau et installa son fauteuil face à elle. Mélissa avait à peine remarqué qu’il ne bougeait pas sinon la tête. Aussi, il n'était pas étonnant que son bureau ne comporte pas de dossier. Le sien ne devait pas être bien conséquent de toute façon, elle avait vécue somme toute normalement jusqu'à ce que son cher don se manifeste.

— Bien, commençons par les formalités : Bienvenue à l’institut Xavier. J’espère que tu te sentiras comme chez toi.

Elle espérait bien s’y sentir mieux. Ce qui ne serait pas bien difficile.

— J’ai validé tes choix de matières secondaires et il t’es même possible de prendre une langue différente du Français, ce qui me semblerait un peu facile pour toi.

Mélissa se fendit d’un sourire d’excuse ; prendre sa langue maternelle en langue étrangère aurait été triché bien sûr. Elle avait grandie près d’Orléans, au sud de Paris, et il était normal que l’on s’assure qu’elle apprenne une vraie langue étrangère, en plus de l’anglais. Par chance, elle avait fait de l’espagnol, quelque part dans ses lointains souvenirs.

— Si tu as besoin de soutien ou d’aide en anglais, n’hésite surtout pas, nous avons des enseignants spécialisés dans ce domaine. Mais comme je l’ai dit, tu as l’air de te débrouiller pour l’instant.
— Oui, j’espère. Je vais bien voir si les autres élèves supportent mon accent et si j’arrive à communiquer.

Il ne manqua pas de sourire, mais enchaîna rapidement.

— Une chose que je préférais évoquer en face à face plutôt qu’au téléphone, au sujet de ton pouvoir.

Inconsciemment, la jeune fille se tendit sur son siège et elle se redressa légèrement. Par chance, le Professeur la calma aussitôt.

— J’ai noté dans ton dossier qu’il ne représentait pas un danger imminent pour toi ou ton entourage, mais qu’il pourrait le devenir à terme ou mal maîtrisé. Cela n’a rien de grave, c’est même tout à fait normal car tu viens à peine de le découvrir. C’est pourquoi tu es inscrite au cours de métamorphose.

Mélissa opina vivement de la tête. C’était stupide mais elle se sentait très curieuse à l’idée de suivre un nouveau cours entièrement dédié à la maîtrise de son nouveau don. Celui-là encore qui la terrifiait des mois plus tôt.

- A ce sujet, je me permets de demander. Penses-tu qu’il s’agisse de la première fois qu’il se manifeste ? Il est possible qu’il n’y ait eu aucun signe avant coureur, ce n’est pas sans précédent, mais je suis curieux de connaître ton avis.

Elle se tripota un moment les doigts, était-ce une mise en examen ? La jeune femme avait noté comme il avait pris soin de ne pas parler de la façon dont elle avait découvert sa mutation. Le dossier n’était peut-être pas rempli parfaitement mais il devait y être inscrit qu’il s’agissait d’une forte réponse émotionnelle. Il ne voulait pas la brusquer, ce qu’elle ne put s’empêcher d’apprécier.

— Je n’ai jamais eu de problème avant, mais peut-être que c’était arrivé sans que je m’en rende compte. Avec… avec Emilie, je ne l’ai vu que parce qu’elle me regardait rétrécir. Sans le regard d’autrui, ce n’est pas facile de s’en rendre compte quand la différence n’est pas importante.

Une fois qu’elle était importante par contre. Mélissa se souvenait très bien des trois jours qui avaient suivis l’évènement. Trois jours dans un hôpital, à se demander si elle resterait ainsi toute sa vie, avant qu’on ne lui annonce que le fautif était son ADN. Il lui avait fallut une semaine pour retrouver une taille normale. S’était ensuivie une batterie de test sur ses capacités. Sans Emilie et Bruno, elle aurait tué quelqu’un — probablement elle — avant la fin.

— Je comprends. Très bien.

Après un moment d’hésitation, il se décida à aborder quelque chose qui le chiffonnait depuis un moment.

— Mélissa, j’ai aussi lu que tu avais quelques soucis familiaux. Il n’est pas de mon ressort de t’embêter avec, mais nous avons une équipe spécialisée dans l’enceinte de l’école, si tu as envie d’en parler. Il n’y a aucun problème et tu ne dois surtout pas t’en vouloir pour ça. C’est malheureusement assez courant chez les mutants.

La jeune femme mit quelques secondes à comprendre à quoi il faisait allusion. Elle ne put se retenir de pouffer un bref instant, avant de lui lancer un regard d’excuse.

— Il doit y avoir eu confusion, Professeur. J’ai été virée de la maison avant que la mutation ne se déclenche, quand j’ai voulu présenter… Bref. En fait, après coup, mes parents ont dû se sentir coupables de la mutation, parce que je crois qu’ils ont essayés d’arranger les choses à leur façon et…

Elle haussa les épaules. Il ne servait à rien de remuer le passé ainsi. Elle avait bien sentie que malgré les efforts de sa famille, elle ne pourrait leur pardonner ce qu’ils avaient fait avant. D’autant que sa mère continuait de jeter des regards à Emilie chaque fois que cette dernière passait à la maison. Ça n’avait été qu’une mascarade et Mélissa était retournée vivre chez son frère assez vite. Rejoindre l’institut n’avait été qu’un pas de plus pour s’éloigner de tout ça, même s’il n’avait pas été facile à prendre. Son père avait tenu à payer tout de même, pour le voyage et elle avait accepté. Jamais elle n’avait craché sur l’argent de sa famille et d’une certaine façon, Mélissa avait décidée que c’était bien le moins qu’il puisse faire.

— Oh. Et bien quoiqu’il en soit, leurs portes te sont ouvertes si tu désires parler. Ou tu peux le faire avec tes professeurs, tout le monde ici se soucie de ton bien-être. En retour, j’escompte que tu fasses de même avec celui de tes camarades.

Cela sonnait autant comme un avertissement que comme une conclusion pour leur entretien. Mélissa ne se sentait étonnamment pas menacée par cette dernière phrase. Cela sonnait plutôt comme un conseil, elle était parmi les siens désormais, d’une certaine façon. Elle avait pas mal subie depuis la mutation, mais d’autres avaient sans doute eu droit à pire et elle devait faire attention à cela. Lentement, gravement, elle opina de la tête.

— J’y compte bien, Monsieur. Je ferais tout mon possible.
— Voilà ce que j’aime entendre. Tu peux y aller, installe-toi, rejoins ta classe et surtout contacte quelqu’un s’il y a le moindre problème.

La jeune femme hésita presque à se lever. Tout cela aurait dû sonner comme les avertissements classique qu’on prodiguait à chaque rentrée de classe, et ce à tout le monde. Peut-être était-ce le fait d’avoir changé de pays ? Ou celui d’être maintenant passée dans un monde où les élèves pouvaient manipuler le feu et la glace ? En tout cas, elle avait senti ses mots peser plus gravement que jamais sur elle.