CHAPITRE I A fleur de peau
Janvier 1970, Dublin, Irlande.
- Spoiler:
- La nuit tomba sur Dublin. Le genre de nuit intense qui prive le ciel d'étoiles et le charge de nuage non pas gris, mais d'une lueur sanguinaire. L'inspecteur en charge de l'affaire prit son dossier et monta dans son véhicule. L'homme qu'il devait rencontrer, lui avait ainsi donné rendez-vous à l'extérieur, dans un petit pub minable très excentré du centre-ville. Les premières gouttes de pluie trouvèrent refuge sur le pare-brise du conducteur qui pour assurer sa visibilité, due activer les essuie-glaces. Le trajet dura une bonne vingtaine de minutes avant que le néon bleu du pub, n'apparaisse aux yeux de l'inspecteur qui, pour vérifier qu'il était au bon endroit, avait pris soin de relire ses notes. Une fois rassuré, il sortit du véhicule en prenant son dossier puis sans plus attendre, il pénétra à l'intérieur du commerce.
Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant un bar quasiment vide. Cela ne présageait rien de bon et c'est la main posée près de son holster qu'il avança vers le barman en lui demandant où se trouvait l'homme qu'il devait rencontrer ce par quoi le commerçant lui indiqua une table où un homme seul, étanché sa soif avec une bouteille de whisky. L’inspecteur remercia le barman puis avança vers la table indiquée. L'homme en question lui tournait le dos et avant même que l'inspecteur n'ait eu le temps de parler, il prit la parole :
«-Pas très vaillant pour un gars de la maison » déclara l'homme en versant un peu de liquide ambré dans le fond de son verre. Pas rassuré, l'inspecteur avança de quelques pas histoire de faire face à son interlocuteur qui le regarda à peine lorsqu'il avala cul sec sa boisson.
«-Inspecteur...je... » bredouilla l'homme.
« Pas de formalité et puis à l'heure qu'il est, je ne suis plus inspecteur n'est-ce pas ? Bah ne restez pas là planté devant moi comme un idiot. Asseyez-vous donc pour vous repaître de mes malheurs. »
« -Je ne suis pas là pour ça monsieur. Je suis venu vous dire qu'au vu de la situation actuelle, nous devons vous proposer une alternative, j'entends par là une protection. »
Eion lâcha son verre et se précipita à la gorge de son interlocuteur. Sans ménagement, il le saisit par le col le forçant à respirer son haleine empourprée de volutes alcoolisées.
« -C'est à ma femme que vous auriez dû proposer cette putain d'alternative. Ma femme qui enseignait à des gosses, ma femme qui n'avait rien demandée.... »
Eion pouvait sentir toute la peur qui émanait du pauvre homme qu'il tenait fermement. Sentant qu'il lui faisait mal, il le relâcha aussitôt avant même que l'homme ne lui en face la demande.
« -Je suis désolé pour ce qui vous ai arrivé monsieur, vraiment, mais je ne fais que mon travail. Vous savez que votre tête est mise à prix par les O'Murphy et que nous ne prenons pas à la légère ce type de menace. »
Eion se resservit en Whisky et ne prêta aucune attention aux paroles de l'homme qui lui faisait face. Une fois encore, il avala d'un traite le liquide ambré qui tapissé le fond de son verre.
« -Monsieur, il aurait été plus judicieux d'être présent au bureau pour régler cette affaire. »
« -Non, pas de lieux publics, il a trop de monde et je n’aime pas quand il y a trop de monde. »
« -Mais vous êtes protégé »
« -J'ai dit pas de lieux publics »
Sans même sans rendre compte Eion avait élevé la voix et se retrouvait debout face au pauvre homme qui tentait de régler la situation.
« -Monsieur tout va bien ? »
Eion avala bruyamment sa salive, il reprit sa place. L'homme qui lui faisait face l'observa ahurit, son teint avait pâli d'un seul coup.
« -Mon dieu...votre main ! »
Eion porta son attention à sa main, le verre qu'il tenait quelque secondes auparavant, c'était littéralement brisé entre ses doigts. Sa paume était en sang. Il cacha aussitôt sa blessure sous la table
« -C'est rien, c'est rien ! »
« -Vous vous êtes ouvert, vous devriez aller à l'hôpital »
Toujours sur les nerfs, le mutant lança un regard noir à son interlocuteur pour lui faire comprendre que le sujet était clos. Il regarda sous la table et constata, sans surprise, que sa main était intacte, dénuée de la moindre coupure. Par la suite, le mutant se resservit un verre, puis deux, puis trois sous le regard atterré de policier qui lui faisait face.
« -Ne me regarder pas comme ça putain ! Énoncez la couleur. »
« -Je...oui...oui d'accord. Et bien, je suis venu vous dire qu'au vu du travail que vous avez accompli en permettant le démantèlement d'un trafic de drogue liant plusieurs membres des O'Murphy, nous vous offrons une protection policière d'envergure. Nous prenons en compte votre participation active dans l'arrestation de plusieurs chefs de file et votre témoignage lors des prochains procès. »
Eion releva la tête et lança un regard assassin à son interlocuteur qui n'en menait pas large.
« -Vous vous foutez de moi ?! »
« -Vous êtes à fleur de peau avec ce qui vous est arrivé, c'est compréhensible »
« -C'est maintenant que vous me proposer une protection ? Après avoir attendu que ces fils de pute abattent ma femme devant notre maison ? »
Alors qu'il s'apprêtait à rétorquer de plus belle, l'homme fut assaillit par une légère absence
« -Monsieur? »
Il ferma les yeux un court instant, avala bruyamment sa salive. Plusieurs flashs assaillirent son esprit. Il entendit des pleurs d'enfants, des cris de femmes. Le bruit des bottes claquant le pavé, il entendit des coups de feu et vit une femme se faire abattre juste devant lui. Puis deux soldats portant les écussons "SS' s'approchèrent tout aussi menaçant. Eion revint à lui
« -Monsieur ça va ? »
Son cœur battait la chamade, son passé avait encore une fois refait surface au moment le plus critique de son existence. Il regarda la bouteille à moitié vide. L'alcool n'avait pensé ses blessures que temporairement. Le regard lourd et dans un soupire il lança :
«-J'en ai rien à foutre de votre protection. J'aimais cette femme, j'avais enfin réussit à trouver la paix »
La mâchoire serrait il se leva et prit l'homme d'en face par le col. Le cœur du malheureux battait douloureusement tant sa peur devenait de plus en plus abrupte. Eion pouvait sentir entre ses doigts l'intensité des battements cardiaque du pauvre homme. Le barman lança un regard suspicieux, qui obligea le mutant a lâché la prise qu'il exerçait autour du cou du jeune inspecteur.
« -Je n'ai besoin de la protection de personne, je me débrouille moi-même. »
L'homme au dossier, rehaussa son col et remarqua que la main de son interlocuteur, était dénuée de la moindre blessure. Il ne manqua pas de faire valoir sa constatation :
« -Votre main ! Pourtant, je suis sûr d'avoir vu les bouts des verres enfoncés ! »
« -Vous avez surement mal vu. »
Prit sur le fait, Eion chercha à faire diversion. Il sortir une liasse de billets qu'il déposa sur la table, puis enfila sa veste en cuir marron sous le regard ahuri du petit rouquin chargé pour cette affaire, de faire la liaison entre Eion et la police.
« -Vous partez ? »
« -Je vais être clair, voir limpide pour que vous me fichiez la paix. Je vais disparaître sans votre programme de protection à la con. »
« -Mais... »
« -Coupez-moi encore une fois et vous le regretterez. »
Il sortit un paquet de cigarettes de la poche de son pantalon. De l'autre poche, il fit apparaître un briquet en argent qu'il plaça sous la cigarette qu'il alluma sans plus attendre.
« -Je ne témoignerai pas au procès. On sait très bien ce qu'il adviendra des commanditaires de l'assassinant de ma femme. »
Il tira longuement sur le mégot faisant apparaître autour de lui un épais nuage de fumée.
« -Je vais laisser du temps au temps, puis je les trouverais et un à un ils payeront ce qu'ils me doivent. Maintenant, je vais quitter les lieux et disparaître. Si vous tentez quoique ce soit, vous ou vos supérieurs, je, vous considérez comme des ennemis et mieux vaut ne pas être mon ennemi. »
Sur ces mots, Eion s'éloigna. Il quitta les lieux et retrouva son fidèle destrier métallique, une Harley-Davidson Panhead de 1964. Il laissa le moteur vrombir quelque secondes pour savourer cette douce mélodie qui parvenait à l'apaiser un peu, puis il accéléra et quitta les lieux sans un regard par-dessus l'épaule. Il le savait, il devait disparaître, faire oublier cette triste histoire mais surtout ne plus faire parler de lui. Il devait être ce qu'il ne pourrait jamais être, "mort".
CHAPITRE II Contre l’intolérance, il reste un encore un espoir
Dans les rues Parisiennes à la fin des années 1930
- Spoiler:
- En cette saison, la lumière était tellement plus agréable. Le soleil estival avait chassé la grisaille et les températures étaient tellement agréables que nombreux étaient les hommes à avoir sorti le short et le marcel pour savourer avec plaisir les joies d'un été parisien. Eion avait choisi de poser ses valises dans la belle capitale française, objet d'une certaine fascination aux yeux du jeune homme. D'ailleurs, la France toute entière éveillait en lui un doux sentiment de liberté. Cette patrie, forte de son histoire, faisait partie des vainqueurs du dernier conflit qui avait ébranlé, en l'espace de quelques années, une partie de l'Europe. Le jeune homme avait servi sous les couleurs de l'Angleterre, mais conservait très peu de souvenirs de cette période. Quel paradoxe, sa mémoire était défaillante alors que son apparence laissait encore entrevoir quelques traits juvéniles.
Mais Paris était aussi le prétexte d'une fuite. En effet, quelques mois avant de rejoindre la capitale française, le jeune mutant avait passé quelques années à Berlin. À l'inverse de la France, ça n'est pas une satisfaction belliqueuse qui l'avait mené en Allemagne, mais un réel intérêt pour l'enseignement des Arts. À cette époque, l'Allemagne malgré la crise économique qui l'ébranlait, n'en restait pas moins une patrie d'accueil pour les penseurs, les artistes et autres grands intellectuels du siècle. Berlin, sa capitale, était à n'en pas douter le point de rencontre des avant-gardes européennes. Happé par sa passion de l'art, Eion posa ses valises en terres allemandes. Les premiers mois furent intenses et intéressants. Le jeune homme savoura pleinement sa vie de bohème et fit de belles rencontres, mais l'utopie prit fin brutalement. Le mutant fut rattrapé par la réalité sociale qui déchirait le peuple et le pays. Berlin, qui autrefois brillait, n'était à présent que le théâtre de sanglants affrontements mettant en exergue la sordide pauvreté et le climat de violence qui régnait continuellement dans les rues berlinoises. Puis il y avait cet homme, sortit de nulles parts, qui braillait ses discours, d'abord dans les tavernes puis sur les grandes places. Cet homme promettait ce que bon nombre voulait entendre, mais il insufflait progressivement la haine qu'il dirigeait vers certaines personnes. Le plus incroyable, c'est que cet homme parvenait à fédérer bien des personnes autour de lui. Plus tard, après avoir quitté l'Allemagne, apprendra que ce petit homme à la demi-moustache, était devenu un jour de 1933, le nouveau dirigeant de l'Allemagne.
En quittant Berlin, le mutant espérait ainsi s'éloigner de l'atmosphère délétère qui étreignait l'Allemagne. Il n'était pas de confession juive, mais il ressentait à l'égard de ce peuple, une profonde compassion. Lui-même se sentait exclu de cette terre sur laquelle il était pourtant né. Il était incapable d'étayer d'avantage son argumentation, mais continuait à penser qu'il se sentait proche de ces personnes que l'on pointait du doigt. À Paris, les choses différaient, mais l'utopie fut encore une fois de courte durée. À croire que les bonnes choses n'ont pas pour vocation d'être permanentes. Eion le comprit lorsqu'il vit ces deux petites filles, prisent en photographie au coin d'une rue. L'une était blonde et l'autre avait les cheveux noirs. À vue d'œil, elles n'avaient pas plus de dix ans, pour preuve, on pouvait encore percevoir les traits juvéniles de leur visage. Le photographe, leur fit signe et dévorées par la curiosité les deux fillettes s'approchèrent. Eion observa discrètement la scène adossait au mûr.
« -Prenez donc la pose. Mais pas la même hein ! Restez naturelles ! » lança le photographe aux deux fillettes qui ne cessaient de sourire sous l'objectif. L'homme un peu déçu, réitéra sa demande avec un peu plus de fermeté.
« -Non, ne faites pas la même pose bon sang ! »
La petite blonde cessa de sourire et regarda l'homme, interloquée
« -Pourquoi vous ne voulez pas que l'on fasse la même pose ? On est copines et... »
« -...vous êtes différentes, alors ça ne sert à rien de faire la même chose. »
Le photographe se redressa et pointa à nouveau l'objectif sur les deux fillettes. Eion ne le quittait pas du regard. L'hostilité de l'homme envers les deux enfants le dérangeait profondément. D'autant plus qu'il semblait regarder la petite fille aux cheveux noirs avec insistance. Au signal, les deux fillettes firent deux poses différentes. Satisfait, le photographe rangea son appareil, s'éloigna et laissa les deux petites filles à leur réflexion. L'homme au béret noir passa près d'Eion en murmurant des paroles que le jeune homme put toutefois entendre.
« -Cette photo avec la petite yupine va me valloir de l'or »
Le sourire aux lèvres, l'affreux bonhomme s'éloigna tandis qu'Eion regardait les deux petites filles. Il était atterré par ce qu'il venait d'entendre. Ainsi, Paris avait-elle sombrait ? Le monde était-il en train de devenir fou ? Et l'Humanité avait-elle encore un sens ?
« -Je ne vois pas pourquoi nous sommes différentes » déclara la petite blonde encore sous le coup des paroles du photographe. La petite brune avait le regard lourd, elle avait compris.
« -Il ne faut pas chercher à comprendre Marie. Nous n'avons pas la même couleur de cheveux, nous n'avons pas les mêmes vêtements...»
« - Tu crois que nous sommes différentes à cause de la couleur de nos cheveux et des vêtements que nous portons ? »
« -Non, mais c'est plus compliqué Marie ! »
« -Alors explique-moi Hannah. Pourquoi on nous regarde à chaque fois de cette façon ? Pourquoi tout le monde ne cesse de dire que nous sommes différentes, que nous ne pouvons être amies à cause de cette différence ? »
« -Parce que moi, je porte une étoile jaune sous ma robe et pas toi »
Pour illustrer son geste, la petite fille répondant au nom d'Hannah montra à son amie Marie, la petite étoile jaune cousue sur sa petite robe bleue. Suite à cette révélation Marie prit la main de son amie et les deux petites filles s'éloignèrent sous le regard d'Eion. Le monde devenait fou, mais en regardant ces deux petites filles, le jeune homme comprit que contre l'intolérance, il restait encore un espoir.
CHAPITRE III Je suis un mutant
- Spoiler:
- Le 20 mars 1942, Compiègne.
Cher Journal,
Plus tard, l'on pourra dire que l'on connaît l'Histoire avec un grand H. Maintenant, je peux affirmer que la France n'était pas plus une terre d'exil empreinte de liberté que l'Allemagne. Les hommes sont tous devenus fous. Je ne l'ai compris que trop tard. Je suis à Compiègne, au camp Royallieu. J'ai été arrêté par la Gestapo et conduis ici. Nous sommes des communistes, des syndicalistes, des résistants, des civils, des Juifs. Avec un ami, je publiais des articles dénonçant les méfaits du régime nazi, mais aussi ceux du gouvernement français. Je crois que cette initiative n'a plus que très moyennement aux autorités. Nous sommes ici depuis plusieurs jours et nous ignorons ce qu'il adviendra de nous...
Le 22 mars 1942, Compiègne.
Cher Journal,
Écrire est une initiative qui peut me mener jusqu'au peloton d'exécution. Chaque jour, de nouveaux prisonniers nous rejoignent. Les SS sont eux aussi chaque jour un peu plus nombreux. Je continue à penser que l'homme est devenu fou. Je vais continuer d'écrire, car c'est une façon de préserver la mémoire. Je ne peux l'expliquer, mais je sais que cette Mémoire avec un grand M, est notre salut à nous tous.
Le 24 mars 1942, Compiègne
Cher Journal,
Je t'écris toujours depuis le Camp de Royallieu « Frontstalag 122 » le camp de transit et d'internement nazi. Les rumeurs se font de plus en plus pressantes. Nous allons partir, la Picardie aura donc était notre dernier refuge. Ça pue la mort de partout. Hier, j'ai fait une petite expédition hors de mon bâtiment, je me suis approché du bâtiment C, le « camp juif » et ce que j'ai vu me glace encore le sang. Il y avait à terre quelques corps portant les stigmates de la maladie et de la malnutrition. Ils les ont laissé crever comme des chiens. Le mot extermination a alors pris toute son envergure à mes yeux. L'homme serait donc près à tuer ses semblables à cause d'une question de race. Le monde est devenu fou.
Eion avait pris l'habitude d'écrire dans un petit journal qu'il prenait soin de garder cacher dans ses effets personnels. Écrire, c'était sa façon à lui de se révolter, de mettre des mots sur les maux de ces camarades et de tous les autres. Le pire arriva trois jours plus tard. Le Convoi 1 quitta le camp de Royallieu pour un autre camp, mais à visée exterminatrice cette fois. Le wagon s'arrêta devant l'entrée du camp. Le ciel était gris et sombre, des particules semblables à des flocons de neige s'échappaient de ce ciel apocalyptique. Eion fut poussé hors du wagon. Il regarda une dernière fois les corps sans vie qui avaient partagé le voyage avec lui puis se retrouva au sol face à deux SS qui retenaient deux bergers allemands prêts à bondir à la moindre occasion. Le jeune homme releva la tête et vit l'inscription au-dessus de sa tête. Il comprit alors qu'il était bel et bien à Auschwitz.
Le 27 avril 1943, Auschwitz.
Cher Journal.
Je t'écris pour résister, je t'écris parce que je ne veux plus rester passif. Je t'écris pour continuer à survivre. Mais je t'écris aussi pour m'assurer que je ne suis pas en train de perdre la raison. Quelque chose est en train de m'arriver, mais je suis incapable de comprendre. Les gens meurent de faim autour de moi. Ils sont emportés par la maladie où sont sommairement exécutés. Ils souffrent de subir quotidiennement ce traitement inhumain. Je mentirais en prétendant survivre, je vis tout simplement. Je n'ai perdu aucun kilo depuis mon arrivée, pourtant, je mange très peu, j'ai même pris pour habitude de donner mes rations à ceux qui en ont le plus besoin. La maladie ne veut pas de moi et à chaque passage devant les Kapo, j'ai le droit à ce même regard suspicieux. Je n'arrive à comprendre. Hier encore, je me coupais en ponçant le bois et la minute suivante la coupure avait disparue comme si jamais elle n'avait existé.
Le 2 mai 1943 Auschwitz.
Cher Journal... Je ne peux pas mourir...
Il faisait déjà nuit, bien que l'heure ne soit pas tardive. La journée de travail s'achevait enfin au grand soulagement des plus épuisés. Vêtus de leur uniforme rayé, les membres du baraquement C, rejoignirent leur lieu de vie. Eion en faisait partit. Avec ses camarades, il avançait loin de se douter de la suite des événements. Une fois au chaud, si l'on peut appeler ça de la chaleur, tous les prisonniers reprirent leur place. Eion n'avait rien avalé ce soir et avait donné sa ration à son camarade de chambrée qui en avait bien plus besoin. Le jeune homme s'allongea sur sa couche et ferma les yeux. Son répit fu t de courte durée. En effet l'un des camarades commençait à s'activer dans tous les sens à la recherche de quelque chose.
« -Qu'est-ce que tu as ? » demanda Eion en se redressant. Le malheureux regarda son interlocuteur et continua à chercher bruyamment un quelque chose qu'il refusait de nommer. Eion quitta sa couche et s'approcha de l'homme qu'il prit par les poignets espérant ainsi le calmer.
« -Arrête de t'activer comme ça. Tu veux ameuter les gardes ? Qu'est-ce que tu cherches comme ça ? »
Eion exerçait une trop grande pression pour que l'homme ne puisse se débattre. Ce dernier vaincu, les larmes aux yeux, capitula et dans un allemand approximatif il avoua à Eion qu'il recherchait son petit garçon de trois ans. Eion le lâcha aussitôt fronçant les sourcils. L'homme en question était un nouvel arrivant et avait réussi à conserver sa grande valise, une valise dans laquelle se trouvait le petit garçon depuis leur arrivée. Suite à sa révélation, l'homme se remit à fouiller. Une fois encore, Eion le prit les poignées et dans un allemand approximatif, il demanda à d'autres camarades de veiller sur l'homme jusqu'à ce qu'il revienne.
« -Eion, tu ne peux pas sortir. Tu sais ce que tu risques si on te prend?»
« -On ne me prendra pas. Calmez-le et dites-lui que je vais lui retrouver son fils. »
« -Fais-vite alors. Tu sais que la durée de vie d'un gosse de cet âge est courte ici. »
Eion lança un dernier regard à ses compagnons d'infortune et quitta le baraquement en prenant mille et une précaution pour ne pas attirer l'attention. Il rasa les murs, prenant le soin d'observer les environs avant de faire le moindre pas. Poings et mâchoires serrés, il priait intérieurement pour qu'on ne le repère pas. La température avait chuté ses derniers temps, cela aurait logiquement dû rendre l'entreprise plus délicate, mais la morsure du froid ne semblait avoir aucun impact sur le jeune homme qui continuait d'avancer prudemment. Dans sa poitrine, son cœur battait la chamade, l'adrénaline pulsait dans ses veines. À tous moment, il pouvait être découvert par un garde, mais il ne devait faillir, la vie d'un enfant était en jeu et quel genre d'être humain serait-il s'il n'était même pas capable de préserver la vie d'un enfant ?
Eion fit un pas et dût s'arrêter, car du haut de leur tour, les miradors avaient allumaient leurs projecteurs pour balayer toute la cour. C'est alors que tapis dans l'ombre, Eion vit un petit garçon qui caressait la tête d'un chien sauvage
« -Merde » déclara le mutant en serrant la mâchoire. Le faisceau de lumière émanant des projecteurs se rapprochaient dangereusement du petit garçon qui n'appréhendait rien du danger. Eion leva les yeux au ciel une dernière fois et se précipita à l'opposé du petit garçon. Il commença ainsi à hurler pour attirer toutes les attentions.
« -Hey bande de salauds, des putains d'enfoirés j'attire votre attention ce soir, parce que j'a quelque chose à dire.. »
Les projecteurs se braquèrent aussitôt sur l'intrus qui faisait des gestes pour mieux se faire voir.
« -Vous êtes des lâches. Le temps passera, mais jamais personne n'oubliera ce que vous avez fait... »
Les soldats postaient sur leur mirador, armèrent leurs fusils.
« -L'Histoire ne vous oubliera jamais, tout comme elle n'oubliera jamais ces êtres que vous voulez exterminer un à un... »
Un premier soldat pointa Eion et tira. La balle se logea en plein dans la poitrine du jeune homme qui sous l'effet du choc perdit l'équilibre et tomba à terre. Un de ses camarades en avait profité pour récupérer l'enfant. Le cœur d'Eion cessa de battre, sa respiration se coupa, il regarda le ciel une dernière fois et ferma les yeux. Son compagnon d'infortune le regarda tristement avant de disparaître dans les ténèbres. Les gardes éteignirent leurs projecteurs et le calme assaillit à nouveau les lieux.
Eion gisait toujours au sol, mais pas la moindre goutte de sang ne l'entourait. Le projectile fut instantanément rejeté par son cœur qui se régénéra aussitôt. La plaie béante qui ouvrait sa poitrine, se referma aussitôt. Le cœur d'Eion se réactiva ainsi que sa respiration. Il se redresse en sueur, comme si on venait de le sortir d'un mauvais rêve. Sous le choc, il chercha frénétiquement le point d'impact de la balle, mais ne trouva rien, il n'avait pas la moindre marque, pas même ne serait qu'une écorchure. Pourtant, il avait tout senti, la balle pénétrant sa poitrine, la douleur, le souffle coupé. Il savait qu'il avait été mortellement touché et qu'il ne pouvait survivre suite à un tel coup et pourtant, il était là en vie, sans la moindre trace de sang. Il lui fallut encore quelques secondes avant d'en prendre la pleine mesure, puis aussi discrètement qu'il n'était arrivé, il s'en alla retrouver son baraquement. À partir de cet instant, sa vie prit une autre tournure.
CHAPITRE IV La suite de l'histoire
- Spoiler:
- Qu'est-ce que je peux rajouter sans entrer dans les détails ? Rien de bien glorieux en soit. J'ai essayé d'aider quelques personnes à quitter Auschwitz avant qu'on ne les tue. Ça n'est rien comparé aux millions de personnes mortes. Je ne garde pas de bons souvenirs de cette période. J'aurai tant aimé découvrir un peu plus tôt, la vérité sur moi-même, j'aurai ainsi pu me rendre un peu plus utile. Passé cette période, je me suis laissé habiter par un grand vide. J'ai perdu foi en l'Homme. N'en étant plus vraiment un, je pouvais me permettre de les différencier de moi. Le mot "mutant" est arrivé bien plus tard, je ne pourrais vous dire quand, parce que j'ai perdu la notion du temps. Je sais juste que mes cellules sont pourvues d'une qualité régénérative incroyable. En gros, je ne peux pas crever, et même si je le voulais, j'en serais incapable, sauf si je me fais décapiter ou qu'un type me colle une balle en plein cerveau. Sinon ça, je suis invincible.
Ma crise de Foi à perduré longtemps après ça. J'ai mis les voiles et suis partis aux États-Unis. Je crois qu'à cette époque, nous étions en pleine Guerre Froide. Je me suis engagé pour partir au Viêtnam, mais je me suis très vite désolidarisé de l'armée. On a beau dire les Viet gong, les Américains étaient tout aussi bestiaux que leurs adversaires. Je suis rentré vers la fin des années soixante et j'ai décidé de retourner en Europe, rejoindre ma patrie natale, l'Irlande. C'est là que j'ai rencontré Sarah, une jeune femme qui enseignait le français à de petites terreurs. Je l'ai aimé, comme jamais je n'ai aimé. Avec elle, j'ai enfin retrouvé foi en l'Humanité. Elle m'a fait oublier le pire, pour me montrer le meilleur. On s'est marié deux ans après notre première rencontre. Je ne lui ai rien dit de ma véritable nature, mais les cauchemars qui peuplaient mes nuits, suffisaient à lui faire comprendre que ma vie n'avait pas été facile. Sarah ne voyait que le meilleur en moi, sans se soucier du reste. C'est elle qui m'a convaincu de m'engager dans la police. Et c'est ce que j'ai fait. Je pouvais enfin me sentir utile, œuvrer pour aider les autres.
L'Affaire O'Murphy est la dernière grosse affaire que j'ai eu à traiter. Un clan, un gang, des pourritures liées par le sang à diverses affaires de drogues et certainement trempées dans le financement d'actes terroristes perpétrés au nom de l'IRA. Je me suis donné corps et âme dans cette affaire. Je voulais enfin réussir quelque chose, me sentir humain et jouir, par la réussite, d'une certaine normalité. Sans relâche, je les ai chassés, ne craignant ni le danger, ni leur influence. J'avais soif de justice, non pas pour combler mon ego ou me faire mousser auprès de mes supérieurs... Non cette soif de justice, résultée de l'envie, d'une grande détermination à mettre à mal une organisation mafieuse qui gangrenait Dublin. À Auschwitz, je n'étais parvenu à sauver la plupart de mes camarades. Ici, je voulais amoindrir ma culpabilité. C'était une croisade, MA croisade et je ne pouvais me résoudre à abandonner.
J'ai failli ! En étant aveuglé et obnubilé par mon désir de justice, j'ai tout perdu. Je ne peux plus m'y soustraire, je suis un connard, un enfoiré d'égoïste qui aurait du, en sa qualité d'époux, privilégier la sécurité et la vie de sa femme plutôt que de s'efforcer à mettre à mal une organisation difficilement attaquable.
Ils étaient deux, deux motards, tout de noir vêtu. Le passager a dégainé un silencieux et à tiré à plusieurs reprises. Je ne serais, vous donnez le nombre exact, tant ma mémoire est incertaine. Toutes les balles se sont logées dans mon corps, toutes sauf une qui a traversé ma poitrine pour se loger dans celle de Sarah, qui contrairement à moi, ne pouvait survivre à une telle blessure. Ces enfoirés voulaient me voir mort, j'aurai préféré souscrire à leur désir. J'eus tout juste le temps de lui dire au revoir, avant de fuir pour éviter les ennuis, car si mes blessures n'existaient plus, le sang, quant à lui, ne s'était pas résolu à partir, comme à chaque fois. D'autant plus que les impacts de balle avaient troué ma chemise de toute part. Je ne pouvais prendre le risque d'être découvert, alors j'ai fui, comme un lâche. Quelques jours après l'enterrement, j'ai rencontré un type chargé de "mon dossier". La police voulait m'offrir une protection...Comme si j'en avais besoin !C'est Sarah qu'il aurait fallu protéger, pas moi. Tous des enfoirés de première qui méritaient de crever un à un. Aujourd'hui, la colère est toujours aussi forte, mais aujourd'hui, pour la toute première fois, je me sens en danger. C'est à mon tour d'être persécuté et je sais que même terré au bout du monde, ils me retrouveront. Je ne connais ni leurs noms, ni leur visage, mais je les sens autour de moi. Ils me guettent, ils me traquent. Ma cachette actuelle n'était plus adéquate pour un mutant en perdition. Chaque problème à sa solution, merci Google ! D'après le moteur de recherche un certain Charles Xavier aurait fondé une école abritant les jeunes pourvus de capacités extraordinaires. Il ne me reste plus qu'à faire mes valises et rejoindre cette école, espérant y trouver refuge.