J’ai presque quinze ans (dans un mois, deux semaines, cinq jours, dix-huit heures et douze minutes, en fait) (le trente-et-un octobre, pour complémenter le monstre que je suis). Nous sommes quelque part dans un coin francophone de l’Ontario, au Canada. On est mercredi, tôt en début de soirée. C’est le mois de septembre, le douze plus précisément, où le vent frais caresse nos chairs mais où les petits shorts sont encore appropriées. Les journées sont plutôt chaudes, mais les nuits se montrent parfois presqu’aussi glaciales que les soirs d’Hiver. Je suis en train de fourrer rapidement plusieurs morceaux de vêtements (H&M, Forever21, Balenciaga, Burberry, Guess, Chanel, etc.), des chaussures (des talons hauts, évidemment), des livres (Kerouac, Lee, King, Green, Rowling, Morgan, etc.), de l’argent (mes économies des cinq dernières années, compilant presque sept mille dollars) et quelques trucs inutiles (cigarettes, petites bouteilles d’alcool (vodka, jack, rhum, etc.), quelques joints, un peu de cocaïne, une charge pour téléphone cellulaire et un paquet de cartes à jouer) dans un gros sac de sport. Bien évidemment, j’allais annuler le contrat de mon téléphone portable qui me liait encore à mon ancienne vie, mais ça pouvait toujours servir. J’ai dit à mes parents que j’allais dormir chez mon amie Jenny ce soir, parce que nous avons un examen de mathématiques demain, et que ce n’est pas sa force. Jenny, cette pauvre conne, une petite salope de première qui couche à droite et à gauche, dont l’unique compagnie ne m’a servie qu’à me divertir de la chiante monotonie que la société et le système scolaire nous impose sur une base quotidienne. Mais Jenny, malgré ses défauts, s’est montrée loyale et discrète au fil des ans. Je l’aime, en fait, de la même manière que Maléfique s’est attachée à Aurore, dans le conte de la Belle Au Bois Dormant, avec un certain dégoût pour tout ce qu’elle représente, sans nécessairement pouvoir l’apprécier, sans nécessairement pouvoir la détester non plus. Jenny, un sbire qui m’a suivi et qui a fait tout ce que je lui demandais sans jamais me questionner, pour des raisons qui lui sont personnelles. Je ne suis pas méchante ou cruelle, loin de là, je suis tout simplement à l’aise lorsque la vie m’offre une situation qui se veut profitable. Mes parents, être chers qui viennent ponctuer la complexité de mon existence, de mon mal de vivre. Aussi, il y a la présence de mon grand frère, Kieran, et de ma petite sœur, Sally. Ma famille, c’est peut-être le seul goût amer qui me reste en bouche, qui me fait douter. Je les entends tous butiner, tels des abeilles dans la ruche où je me crois être reine. En fait, je n’avais aucune crainte que les membres de ma famille se débrouilleraient en mon absence. On est tous comme ça ici. Je ne serais pas prête à dire que nous n’avons pas d’émotions, mais quand quelque chose ne va pas, on reste neutres. Mon père m’a toujours appris que la faiblesse d’une personne se calculait par le nombre d’émotions qu’elle était prête à partager avec les autres. C’est probablement du non-sens pour les gens normaux. Mais moi, ça vient me chercher, je comprends ce qu’il a voulu me dire. Et depuis, je me suis efforcée de ne pas trop en montrer. Parce que si quelqu’un connaît ma faiblesse, il est en mesure de me détruire, ce qui ne peut pas arriver. Et c’est ainsi que, quelque temps avant mes quinze ans, en ce mercredi soir de septembre, j’ai embrassé mes parents sur les joues avant de leur lancer un « au revoir » banal (pour qu’ils ne se doutent de rien), j’ai fait un câlin à mon grand frère et une bise discrète sur le front de ma petit sœur, qui a pris soin de replacer une mèche brune derrière mon oreille. Un sentiment de peur s’est emparé de mon être pendant quelques instants avant de claquer la porte de la maison, « en direction de chez Jenny », pour ne plus jamais la rouvrir. À tous, dans ma chambre, je leur ai laissé une lettre. Une lettre leur demandant de rester calme, de comprendre, de ne pas me chercher parce que je serais introuvable. Une lettre qui, je l’espérais, saurait apaiser leur peine et leur désarroi. On dit souvent qu’un parent ne devrait jamais avoir à perdre un enfant, et moi, consciemment, je m’arrachais à leurs liens, car je ne pouvais plus supporter de vivre cette vie où je n’étais pas tout à fait moi-même. Cette vie qui, depuis mes douze ans, se voit masquée par moi-même, sachant trop bien que la différence est fortement jugée et, souvent punie dans la société. J’ai un don, un pouvoir, une habileté hors du commun. Mais ce n’est pas ce que les gens verraient. Ce qu’ils verraient, soyons honnête, c’est une différence. Quelque chose qui n’est pas eux, et donc, qu’ils ne sauraient apprécier, comprendre, valoriser, aimer, tolérer, voire regarder. C’est, en gros, les derniers souvenirs que je possède de cette soirée-là.
J’ai fêté mon quinzième anniversaire dans une ruelle avec un cupcake et une petite bougie, trop défoncée sur la première dose de cocaïne que je m’étais accordée lors de mon escapade impromptue. Macabre ? Non, plutôt obscène. Heureusement pour moi, les grosses bennes à ordures pouvaient me tenir au chaud. Même si les murs métalliques semblaient onduler et que la musique provenant des cannes de conserves n’était pas des plus agréables, j’étais pleinement consciente que ce genre d’habitat était des plus chaleureux, comparativement à la boîte de carton dans laquelle j’ai commencé mon aventure. Je n’avais pas encore quitté la province, trop peu confiante de mes déplacements. Sans carte, l’orientation était difficile et, loin de ma banlieue natale, je n’avais pas encore voyagé énormément. Certaines personnes me prenaient en auto-stop, ce que je ne déclinais jamais, parce que marcher plus de un kilomètre en talons hauts, c’est pénible, j’aurais bien dû y penser avant. Je prévoyais me rendre en quelque part plus rapidement, mais j’ai été prise dans cet idée de voyager, de voir mon coin, les endroits que je n’ai jamais vus. C’est stupide, je sais, on dirait que je me suis coincée dans une nostalgie qui n’est pas vraiment la mienne, comme si je rêvais de quelque chose. Un rêve où je n’ai pas peur de laisser s’exprimer tout mon innocence, ma naïveté. Toutes les émotions ont une place, dans ce rêve. Tout à une place, sauf moi. Je décale. Je détonne. Je ressors. J’existe. Et, c’est dans ce constant malaise angoissant, mais anomique, que se traduit toute la ligne de ma vie. Je suis vivante. Je suis. C’est étrange, et post-philosophique, comme manière de penser, surtout pour une jeune adolescente de quinze ans sur la cocaïne. C’est peut-être la cocaïne. Ouais, clairement, c’est la cocaïne.
Mon pouvoir, la zookinésie, c’est assez cool quand on y pense. Ça vient redéfinir les limites de ce qui est possible et, bien évidemment, de ce qui ne l’est pas. Je ne cacherai rien à personne : je ne suis pas immortelle. Un balle dans la tête, un coup de hache au sternum, une fiole de poison, un petit coup de guillotine, un parpaing bien lourd au fond de la rivière, et hop là ! Bye bye Ms. Ward. Toutefois, contrôler les animaux et être capable de communique avec eux, c’est relativement intriguant, j’en connais pas beaucoup des gens qui en sont capables. Voyons voir ... Il y a moi et ... Ouais, moi. Je ne prétends pas être la prochaine Marie Curie, ou bien Tyra Banks, mais je suis convaincue, et je pourrais parier bien des choses là-dessus, qu’elles n’ont jamais été capables de parler à un chien.
Tout au long de ma quinzième année de vie, j’ai exploré l’Est du Canada sans vraiment me soucier de quoique ce soit. J’errais sans but précis, espérant rencontrer des gens accueillants sur mon chemin. Les choses que j’ai apprises lors de cette année ont plus de poids que tout ce que le système scolaire aurait pu m’apprendre en trente ans. C’est aux alentours du mois de juin que j’ai pris une des plus grosses décisions de ma vie : détruire mon identité. Tout ce qui faisait partie de ma vie, disparu. J’ai brûlé toutes les cartes d’identité que j’avais et, un peu sur l’impulsion, je me suis teinte en blonde.
Manque total de chance pour moi, deux ou trois jours avant mes seize ans, alors que j’étais en quelque part entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, une famille bien gentille chez qui j’avais passé les deux dernières semaines m’a signalée à la police, s’inquiétant pour moi. Bon, je devais avoir perdu quelques (environ vingt) kilos depuis le début de mon escapade, et je dois avouer qu’il m’arrivait parfois d’avoir l’air un peu cinglée (exemple à l’appui : quand je parlais longtemps avec le chien familial), mais ce n’est pas une raison pour appeler la police, merde ! Qu’ils le disent, je serais partie ailleurs.
Les policiers, fidèles à leurs habitudes, ne savaient pas trop quoi faire de moi. Une jeune fille de quinze ans, sans papiers, qui refusaient de leur parler. Qui étais-je ? Que faisais-je ? Que voulais-je ? D’où venais-je ? Un grand mystère. Mais ça, leurs questions, j’étais catégorique sur la réponse que je leur donnais ; un grand sourire, qui avait l’air de dire : « t’as fini ?! » Au final, ils m’ont gardé trois jours en interrogatoire avant de m’envoyer dans un institut psychiatrique réputé de la région.
Un institut psychiatrique, vous avez bien compris. Un (pardon my French, fucking) I-N-S-T-I-T-U-T-P-S-Y-C-H-I-A-T-R-I-Q-U-E. L’endroit charmant où on m’avait placée, une très belle chambre avec de gros coussins blancs à la place des murs, était tout à fait le genre de lieu épuré, simple et minimaliste que les stylistes adorent. En temps normal, dans « mon ancienne vie », je crois que ça aurait pu me plaire. Mais là, dans le contexte où je passais les trois-quarts de mon temps dans cet enfer blanc, avec pour seuls temps hors de la « salle de confinement » (c’est comme ça qu’ils appellent le lieu pour les patients à risques, les nouveaux à l’étude et les plus dangereux) les moments à la cafétéria pour faire semblant de manger (deux ou trois fois sur trois) les repas immondes qu’ils nous offraient.
Un an et demi dans cette routine désagréable. J’avais désormais dix-sept ans et demi, je n’étais plus la même. Après tant de temps, je demeurais anonyme aux yeux de tous. Je parlais, j’avais des amis, je mangeais les horreurs qu’ils nous donnaient, je vivais avec les autres, mais je n’avais pas de nom. J’étais tout simplement « celle-là », « hey toi », « Blondie » ou mon préféré : « patiente 1783 ». Je crois que, contrairement à ce qu’ils souhaitaient voir, je ne suis pas devenue une meilleure personne. La mémoire ne m’est pas revenue (parce qu’elle est jamais partie, duh). Rapidement, je suis devenue une sorte de leader pour les autres, je ne les laissais plus vivre comme dans une jungle. J’étais même parvenue à me faire livrer une boîte de teinture blonde pour mes cheveux sur une base bimensuelle.
Et puis, un peu plus d’un mois avant mes dix-huit ans, j’ai tout mis à exécution. Un plan de génie, selon moi, qui me permettrait de m’évader et de continuer à vivre ma vie comme je l’entendais. L’oiseau libre, captive pendant un moment, le temps d’une saison, allait enfin battre de ses ailes frêles et engourdies par l’inertie de mon squelette lors des deux dernières années. Des murs aisés d’une maison de banlieue franco-ontarienne j’étais passée aux murs en cartons. De ceux-là, j’en étais passée aux murs de métal. Par la suite, les murs de maisons de toute sorte, mais jamais les mienne. Ensuite, ce fut le tour des murs blancs capitonnés, comme un grand lit, ou une zone de confort trop peu confortable. Et puis, bientôt, de nouveau libre. Plus de murs, jamais, sauf pour dormir ou pour me réchauffer. Éviter la société et son pouvoir coercitif, ça commençait par l’abstraction du confort qui m’avait toujours semblé si cher et si précieux. Je n’étais plus exactement moi-même.
Une routine s’était installée à l’asile. En fait, je n’avais rien à voir avec l’instauration de cette-dernière, c’était tout simplement la manière de faire qu’ils développaient depuis l’ouverture de la place. Et puis, heureusement pour moi, une fois que quelqu’un comprenait leur système, la vie devenait de plus en plus simple. Le matin, vers sept heures trente, dix gardes en tout surveillent le dortoir des filles pour la période qu’ils appellent vulgairement « La 1 ». Ensuite, c’est la même formule pour le déjeuner (« La 2 ») et les activités du matin (« La 3 », des activités genre tricot, puzzles, dames, échecs, etc.) ; dix gardes qui s’assurent que cette bande de filles folles ne s’entretuent pas. Puis vient « La 4 », le repas du midi, où on peut observer le premier changement de gardes de la journée. Ici, on voit un rehaussement d’effectif, dix devient quinze. Et quinze demeure jusqu’à l’heure du dîner, « La 5 », où il se multiplie par deux et devient trente, puisque garçons et filles sont mélangés pour ce repas, c’est le seul moment dans la journée où je peux me rincer l’œil. Plutôt con, une torture. Quoique les filles sont pas mal ici. À la fin du dîner, « La 6 », on nous escorte vers nos dortoirs où l’on est sensés passer la soirée sans faire trop de bruit, et le nombre de garde redescend à quinze. Ensuite, pour « La 7 », le coucher (vers vingt et une heures), il y a que huit gardes. Et finalement, « La 8 », de minuit à sept heures trente, ils ne sont que quatre à surveiller nos moindres faits et gestes, en jouant aux cartes bien évidemment.
Bref, j’ai commencé à agir tôt, pendant « La 6 », où je commençais à manipuler les filles pour qu’elles causent du trouble entre elles, ce qui allait évidemment taper sur les nerfs de tous. Moi, discrète dans mon coin à ne rien dire, je n’étais pas une menace, j’étais moins qu’une patiente ; j’étais quelqu’un. En plus, je les aidais à résoudre les conflits. Ça, c’est un des trucs les plus rudimentaires que je connaisse ; faire semblant pour être aimée. Pendant « La 7 », encore là, petites manœuvres faciles pour distraire l’attention. Au final, je devais être invisible, oubliée. En premier, j’avais repérer une araignée de taille moyenne et lui avait ordonnée d’aller se cacher dans les douches du dortoir. La cohue causée par l’évènement m’a donné assez de temps pour prendre le pistolet électrique d’un des gardes, qui était trop occupé à séparer Caroline (une schizophrène) de Jasmine (une bipolaire maniaco-dépressive). « La 8 », période cruciale. Je suis sortie de mon lit, et j’ai marché le long du corridor éclairé aux néons faiblissants, en faisant semblant d’avoir des crampes au ventre, des trucs de filles quoi, quelque chose que les gardes masculins ne sont pas capables de gérer par eux-mêmes. L’un deux m’a gentiment accompagné aux toilettes et, quand je me suis plainte de mon mal en m’écroulant au plancher ... Wow, l’idiot n’a même pas vu venir la décharge électrique, mais il l’a sentie, ça c’est sûr. Inconscient, je l’ai dénudé et, à l’aide du couteau suisse non-réglementaire qu’il gardait dans sa poche (sécuritaires, ces hommes virils), je l’ai égorgé. Pour sortir de l’asile, je devais repasser devant les trois autres gardes. Ça allait être risqué, mais je devais y arriver. Me concentrant, je réussis à trouver plusieurs insectes dans les plafonds et à les faire tomber sur les autres gardes pendant que je m’approchais d’eux, jouant ma nouvelle identité. À défaut de pouvoir les tuer avec mon esprit, le couteau-suisse me permit de les poignarder plusieurs fois, les laissant se vider de leur sang. Avant de sortir, je suis retournée chercher le sac de sport qui m’attendait dans un casier miteux, avec mon nom inscrit sur un morceau d’adhésif blanc, depuis mon arrivée ici. Bien évidemment, les joints, les cigarettes, les petites bouteilles d’alcool et la cocaïne étaient disparus, mais tout le reste (incluant les six mille dollars et mon téléphone portable) y était. Toujours dans le rôle du garde, je suis parvenue à passer la sécurité en empruntant les clés de sa voiture et en tentant de dissimuler la majeure partie de mon visage. Plutôt incroyable comme histoire, voire invraisemblable, mais j’ai réussie, et je suis sortie de ce trou à rats qui m’a servi de maison pendant presque deux ans de ma courte vie. Quelques gouttes de sang ponctuaient mon épiderme livide, mais je n’avais pas le temps de m’en occuper, je ne voulais que partir d’ici.
L’air frais sur mon visage. Le vent. Le froid. La vie – la liberté. J’avais oublié à quel point ça pouvait être plaisant, à quel point c’était orgasmique que de voyager, d’explorer et de découvrir tous ces coins qui me semblaient si inaccessibles auparavant. Cette folle envie de partir, propre à Kerouac ou à Poulin, prenait le contrôle complet de mon corps et de mon âme.
J’ai abandonné la voiture dans un fossé, pas loin d’un endroit plutôt désert. J’ai remis des vêtements qui étaient dans mon sac de sport, étrangement, ils me faisaient. Quoique, avec le carton qu’ils nous servent ... qu’ils nous servaient, devrais-je dire, à la cafétéria de l’asile, ce n’est pas surprenant que j’aie perdu du poids. J’ai trouvé un petit ruisseau pas trop loin du fossé où j’en ai profité pour nettoyer mes mains, mes bras et mon visage Puis, passant la bandoulière du sac par-dessus mon épaule gauche, je suis repartie sur la route, avec ma démarche un peu claudicante et mon pouce levé, espérant de tout cœur trouver quelqu’un pour me conduire le plus loin possible de cet endroit.
Ça n’a pas pris longtemps avant que quelqu’un s’intéresse à moi, deux ou trois semaines, tout au plus. J’étais seule dans un petit restaurant du Manitoba, en train de déguster un milkshake à la vanille en lisant le journal local. Vraiment passionnant ces histoires à propos de mamies qui ont gagné au bingo ou bien de petit garçon qui a récité l’alphabet à l’envers pour le concours de talent de son école. Et puis, une très belle femme rousse accompagnée d’un homme baraqué aux cheveux aussi bruns que ses yeux sont venus à ma table. Ils étaient sympathiques, en fait, mais je savais que je ne devais pas leur faire confiance, ou m’attacher, parce qu’au final, c’était moi et moi seule. J’avais quelques réserves, à propos des étrangers, mais je ne voulais pas leur crier dessus, de peur qu’on tente encore de me renvoyer en asile. Bref, ils me parlèrent de tout et de rien, je crois qu’ils voulaient en savoir sur moi-même, d’où je venais, ce que je faisais ici, des trucs comme ça. Sur mes gardes, je répondais en jouant mes cartes habilement. Ils me parlèrent d’un Institut, aux États-Unis cette fois-ci, et c’est là que j’ai paniqué. Ça y est, ils m’avaient retrouvée. Ils m’ont donné plein de documentation, d’informations et m’ont offert de m’y amener dans les plus brefs délais. Honnêtement, je n’écoutais pas, je n’avais pas envie de les écouter, de retourner dans un asile pour les fous. En prenant les dépliants qu’ils me tendaient, j’ai feint de devoir aller aux toilettes, mais je me suis enfuie par la petite fenêtre avant de faire un sprint jusqu’à la voiture « empruntée » à un bon homme de l’Ontario.
Rendue en Saskatchewan, je me suis permis de regarder plus attentivement tous ces documents. Une école pour les gens comme moi, avec des pouvoirs, des dons, des habiletés hors du commun. Des gens qui ne cadrent pas dans le moule, qui ne peuvent que le briser par leur anormalité, leur différence. En quelques instants, sans afficher la moindre hésitation, c’était décidé, la Xavier’s School, à New York, était mon prochain arrêt. Peut-être le dernier, sait-on jamais. Évidemment, faute de passeport (ou de documents prouvant mon existence) j’ai dû contourner les douanes en employant divers animaux pour faire distraction, mais j’ai réussi à m’y rendre saine et sauve, ou du moins, potable.
Au terme de ma quatrième année dans cette école pour « mutants » (ouais, mutants, c’est le terme), j’étais devenue une personne totalement différente, améliorée. J’ai appris à gérer mes émotions, qui sont intimement reliées avec l’usage de mon pouvoir, qui peut se montrer beaucoup plus vicieux que ce qu’il apparaît à la base. Je me suis fait tout un réseau social d’amis, qui sont en fait tous devenus des membres de ma nouvelle famille, la plus éclatée jamais vue. Cet Institut, c’est en fait ma maison ; la seule que j’accepte d’habiter. Mais, au terme de cette quatrième année, j’ai pris la fuite. Certains l’ont probablement (clairement) vu comme un quelconque acte de haine. Dwayne Walker, par exemple, qui tient pratiquement le rôle de mon grand frère, du protecteur, du héros, depuis que je le connais. En fait, j’ai pris la fuite pour des raisons simples. Je n’aime pas m’attacher, ça m’effraie. Je n’aime pas quand je deviens trop impliquée, physiquement et émotionnellement, dans diverses situations. Ça me terrorise, ça m’empêche de fonctionner normalement. Alors, j’ai fait ce que tous auraient fait, bon ok, j’ai fait ce qu’Adele Ward aurait fait, c’est-à-dire prendre la fuite.
Fidèle à mes habitudes nomades, j’ai passé mon temps à explorer la côte Ouest de États-Unis, histoire de m’imprégner de toute cette culture, cette richesse, leurs drogues & alcools aussi. La Californie a été mon arrêt préféré, puisque tout le monde semblait à l’aise et détendu. Quoique, pour la palme d’or, Hawaii a failli me charmer, je n’en suis presque jamais revenue. Littéralement, le bateau a coulé au retour. Heureusement pour moi, les requins (et autres créatures marines non identifiées) sont mes amis, lorsqu’ils n’ont pas le choix. Prends-en de la graine, Spielberg. Bien évidemment, mon téléphone cellulaire n’a pas arrêté de sonner lors de mes vacances non planifiées. J’ai reçu plusieurs messages textes aussi, mais j’ai choisi de ne pas répondre, pour me détacher complètement de ces gens auxquels je tenais beaucoup trop. Je repensais souvent à Dwayne, à Riley et même à Andy, qui, malgré son tempérament habituellement froid et distant, m’écrivais et me téléphonais de temps à autres. Ils se souciaient tous tant de moi et, comme une idiote, je leur répondais de la seule façon qui me semblait naturelle et régulière ; en leur faisant du mal, en m’en prenant à leurs sentiments.
Et là, après les vacances d’été (du début de mai à la fin d’octobre, environ) bien méritées, je reviens dans cet endroit que je considère comme ma maison, l’endroit qui abrite toute ma vie, ma famille, mes amis, mes amours, mes ennemis, etc. Puis, on m’annonce tout bêtement qu’il y a un bal. U-N-B-A-L. Un bal, en l’honneur de mon anniversaire, ah oui et de l’Halloween (mais ça, c’est mineur comme évènement), ils sont mignons de penser à moi comme ça. Un bal, et je n’ai même pas de robe. Non, rectification, j’ai beaucoup de robes, mais je n’ai pas LA robe. Celle qui fera tourner les têtes, battre les cœurs et agiter le sang des personnes présentes à la danse. En effet, à l’exception de Riley Dawkins et Cassiopée Harrison, mes colocs de chambre, ainsi que la fille qui squattait mon lit (ou qui vit dedans en permanence, j’hésite), personne n’est au courant de mon retour. Ce sera l’occasion parfaite de m’annoncer, de faire ce petit spectacle, cet effet de « wow » que j’aime tant provoquer. Toutefois, après cette absence si longue, je crains que les liens qui m’unissaient aux autres soient brisés. Ce retour non anticipé est comme un renouveau, comme si je recommençais à écrire toute mon histoire.