la chenille devient papillon, le cochon devient saucisson

Stephen King dit dans l'un de ses bouquins que "Ce que Darwin a été trop poli pour dire, mes amis, c'est que nous sommes parvenus à régner sur la terre non parce que nous étions les plus malins, ou les plus méchants, mais parce que nous avons toujours été les plus déments, les plus grands enfoirés meurtriers de toute la jungle." et, même si c'est pas spécialement l'un de mes auteurs préférés, je crois qu'il a raison et que d'une certaine façon je pense ça, moi aussi. Je pense pas spécialement que l'homme soit démoniaque de nature - je pense que certains le sont, cruels et sans scrupules, et que le reste n'est que doctrine populaire, communauté passive qui suit le troupeau sans rechigner. C'est pas vraiment péjoratif - un peu comme le dit Tocqueville  : "on ne saurait faire qu’il n’y ait pas de croyances dogmatiques, c’est à dire d’opinions que les hommes reçoivent de confiance et sans les discuter.", il n'y a pas de société sans doctrine populaire, indiscutée et acceptée par les hommes pour les réunir et les souder dans de mêmes croyances - je crois que c'est à partir de ce moment où j'ai découvert ça que j'ai commencé à me sentir différent.

J'ai beaucoup lu et je me suis mis à me questionner sur beaucoup de choses, parce que j'avais toujours été un gamin curieux. J'ai lu et relu Judith Butler, Gloria Anzaldúa, Richard Ryder ; j'ai plongé dans la théorie queer, la "french theory", je me suis interrogé sur l'identité parce que j'étais un ado en plein flippe en train de découvrir qu'il était peut-être bien bisexuel, je me suis goinfré d'études de genre de Margaret Mead à Christine Delphy. Je crois que c'est ça qui m'a initié à la sociologie - j'étais en colère de voir que le moi que je pensais avoir construit n'ait en fait été que monté brique à brique et modelé à sa guise par une société et son système social, parce que je n'avais jamais été indépendant comme j'avais eu la bêtise de le penser et qu'inconsciemment je me pliais à tas de règles et de normes stupides, alors j'ai lu tout ce que je pouvais trouver pour essayer de comprendre et de m'évader hors de ces conneries.

En grandissant, alors que que mon intérêt inexplicable et grandissant pour la faune naissait, j'ai interrogé l'éthique et le spécisme et le carnisme. Au fond je crois que tout le monde est d'accord de dire que le spécisme est une idéologie ridicule, seulement, elle est tellement ancrée en nous que personne ne la questionne vraiment. Il suffit de voir ces petits occidentaux : ceux qui hurlent, accablés par le festival de Yulin et le fait qu'on puisse torturer des chiens avant de les manger, insultent et discriminent une culture entière, et tout ça autour d'un bon steak bien saignant.
J'ai jamais vraiment compris comment on pouvait classer les animaux entre eux : les chiens et chats, les animaux de compagnies en général, ceux mignons et auxquels on ne touche pas, face aux animaux d'élevages, ceux gros et pas beaux qui n'existent pas aux yeux des gens. Pourtant, je vous assure qu'un porcelet est très mignon et pas plus bête qu'un chat ou qu'un lapin. Mais, comme disait Cavanna, "la chenille devient papillon, le cochon devient saucisson", et ça ne gêne personne parce que c'est communément admis et normal.

Les gens n'aiment pas les activistes pour les droits des animaux. Honnêtement, rien que mes parents, ils se braquent à la moindre réflexion. On peut rien leur dire sans qu'ils se sentent agressés et qu'ils le prennent comme un reproche plus que la simple expression d'un opinion ou d'une idée, mais c'est peut-être qu'au fond ils savent que leur idéologie est stupide et sans fondement, non ? A l'école, j'ai toujours été vu comme le mec bizarre à moitié hippie et écolo (évidemment, c'est le cliché qui va de paire avec l'activiste pour les droits des animaux), celui qu'on pointait du doigt dès qu'une blague sur les steaks et les saucisses était faite et à qui on venait raconter ses prouesses de ne pas avoir mangé de viande à midi parce que, tu sais, les lapins, c'est trop mignon pour être mangé, alors j'ai pris que des légumes.

J'ai toujours aimé la poésie - la nature a depuis été toujours muse de nombreux poètes et peut-être qu'au fond le cliché hippie et écolo n'est pas si éloigné de la vérité que ça, en fait, mais j'aime la nature et sa beauté et sa férocité. Je n'aime juste pas ce que l'homme l'a fait devenir. Au début ce n'était que des opinions un peu bo-bo, mais c'est vite devenu une vraie différence : je me suis jamais senti à ma place avec les gens et en grandissant ce fossé entre eux et moi n'a fait que grandir. Je suis un peu du genre gars timide qui ne parle pas beaucoup aux premiers abords sauf le minimum radical pour ne pas être impoli, je suppose que je dois pas avoir l'air très intéressant à grand monde, et je mets du temps à m'accommoder à quelqu'un. Là où je me sens à mon aise, c'est avec les animaux, dans la nature - au début je pensais pas ça comme vraiment étrange. Je veux dire que c'était une passion comme une autre, et comme certains aiment le foot et d'autres le cinéma j'aimais tout ce qui avait pattes plumes ou écailles.

Les animaux ne sont pas difficiles à comprendre, pas comme les hommes et leurs nuances et contradictions ; j'ai toujours trouvé ça facile avec eux parce que derrière leurs actions ne se cache jamais coup monté ou mauvaise intention. Ils sont juste simples au sens le plus mélioratif du terme, sincères et sans prise de tête à partir du moment où on accepte de les écouter. Si tu t'aventures sur son territoire, un chien va immédiatement t'aboyer dessus et te montrer les crocs pour te dire de dégager, plutôt qu'une personne qui pourrait t'aborder gentiment et te planter ensuite un poignard dans le dos.

Au final, j'aurai dû m'y attendre parce que depuis gamin j'avais toujours ressenti ce lien spécial entre eux et moi - une espèce de connexion, une attraction réciproque, qui avec l'âge n'a fait que s'amplifier davantage. Je l'avais même pas remarqué moi même, de base, parce que je pensais juste que c'était commun de les comprendre, que ça révélait plus du comportementaliste qu'autre chose et que c'était pour tout le monde la même chose, et lorsqu'on a commencé à vanter mes mérites avec les bêtes j'ai juste pensé que c'était une espèce de main verte version royaume animal et rien de plus, que j'étais juste doué pour les observer et comprendre ce qu'ils ressentaient. Depuis, les situations se sont juste enchaînées et quand j'ai remarqué que je pouvais (la plupart du temps, totalement involontairement) influencer les animaux et leur comportement avec mon esprit, le tout est devenu bien plus flippant parce que j'ai découvert pourquoi je me sentais différent. Parce que ce n'est pas tout le monde qui va pouvoir râler intérieurement d'encore bouffer des haricots au dîner et demander à son chat de sauter sur la table rien que par la pensée pour qu'il renverse le plat, et certainement pas tout le monde qui va voir sa demande exécutée dans la seconde, quoi.

J'ai toujours du mal à voir ça comme un don - en fait, j'ai du mal avec ce concept de "don" parce que tout ce que je veux c'est être normal, et pas être le type qui devient le meilleur ami de ton chien cinq minutes après lui avoir innocemment tapoté la tête ou celui qui sème accidentellement la pagaille en cours de bio.
Honnêtement, je sais pas trop ce que je fiche ici, dans cette école - je sais pas trop ce que j'espère y trouver mais je pense qu'au fond j'essaye juste de comprendre ces histoires de dons de pouvoirs et de mutants qui semblent tout droit sorties d'un roman de A.E Van Vogt (ce que j'espère juste, c'est de pas finir comme les Slans de son bouquin, parce que ça y ressemble bien trop), de trouver des réponses, et surtout .. des solutions. Parce que c'est pas que ça me gêne, ce lien bizarre qui m'unit aux animaux, mais j'aimerai bien retourner à ma vie d'ado normal et tout, aussi, si elle a jamais existé. Une vie sans, genre, communication involontaire - la première fois où son chien emmêle accidentellement sa laisse dans les jambes de celle qui s'avère être votre voisine snobinarde et détestée c'est plutôt marrant, parce qu'elle se casse la figure en plein milieu du trottoir et que c'est bien fait parce qu'elle rend jamais le courrier lorsqu'il arrive dans la mauvaise boîte aux lettres, mais quand ça se produit au moindre saut d'humeur avec n'importe qui n'importe où à cause de n'importe ça devient vachement plus flippant. Je veux dire, c'est pas que je regrette ce pigeon qui a chié sur le veston de ce mec absolument insupportable de mon ancienne uni mais, en fait, presque que si.